jeudi 29 novembre 2012

Des camps de concentration Nazis au Maroc !


Des camps de concentration pour juifs, au Maroc, pendant la deuxième guerre mondiale. A priori, voilà une idée qui parait totalement saugrenue. Qu’elle soit formulée sous forme d'interrogation ou de simple hypothèse, elle fait sursauter. Pire, elle constitue une insulte à la mémoire collective des Marocains, une offense gravissime à leur culture. Toute notre histoire, fondée sur la tolérance et la coexistence en bonne intelligence entre Marocains musulmans et juifs, serait ainsi l'objet d'un révisionnisme honteux et provocateur. Comment imaginer que ce qui a prévalu pendant deux mille ans pouvait être remis en cause l'espace d'une guerre, aussi mondialement ravageuse soit elle?
C'est effectivement cette question que soulève, comme on lève un lièvre monstrueux, l'Américain Robert Satloff, historien de son État. Parmi les justes, histoires perdues dans le long prolongement de l'holocauste dans les pays arabes. À la lecture du titre, on est pris par un sentiment de gêne et de curiosité. On se demande si les Arabes sont catalogués par les “justes”, terme qui désigne les protecteurs des Juifs pendant la longue nuit de persécution nazie, ou parmi les suppôts de l'Allemagne hitlérienne. C'est plus qu'une nuance. Ce sont deux suppositions totalement opposées. Et puis, qu'en est-il précisément du Maroc dans ce vaste lot de pays arabes évoquée dans le titre? Assurément, il y a de quoi aller plus loin dans un livre qui ne risque pas de vous tomber des mains. D'autant plus qu'il n'y a pas de sujets tabous en histoire.



Travailleurs forces en Tunisie sous l' occupation


Car c'est de recherche historique qu'il s'agit, avec toutes les contraintes méthodologiques requises, consultation des archives, enquête de terrain et recueil de témoignages des contemporains ou de leurs descendants. Un travail minutieux que Robert Satloff a bouclé en cinq ans, dont deux passés au Maroc; le reste en Tunisie, en Algérie et en Libye.
Mise en contexte, d'abord. Nous sommes en pleine guerre. Sans y être réellement engagé, le Maroc, par la voix du Sultan Mohammed V apporté, dès 1939, son soutien à la France contre l'Allemagne nazie. À quelques exceptions près, le mouvement national emboîte le pas.



Mohammed V


Seulement voilà.Sous la conduite de Philippe Noguès, la Résidence générale tombe sous la coupe du régime de Vichy, signataire de l'armistice avec l'Allemagne et partageant amplement ses théories raciales. Le Maroc se retrouve alors dans une situation intenable, entre le marteau d'un protectorat vichyste, donc raciste, et l'enclume de son alignement sur l'effort de guerre des alliés. Cet écartement ne sera levé qu'avec le débarquement anglo-américain (“opération Torch”) à Casablanca, le 8 novembre 1942.
Qu'en est-il advenu des Juifs durant cette période. C'est l'objet du livre. D'après l'auteur, des juifs ont été parqués dans des camps de “travail forcé”, pour la réalisation de divers projets, tel le chemin de fer trans-saharien de l'Oriental où les mines de Bouarfa, pour lesquelles 7.000 hommes ont été déportés contre leur volonté. Robert Satloff a localisé et dénombré une soixantaine de ces lieux d'internement qui avaient tout des camps de concentration; presque tous situés dans les régions désertiques des confins algéro-marocains. Les témoignages des survivants, rapportés par l'auteur, parlant de conditions d'incarcération “effroyables” et de “traitement barbares”. Cinq juifs polonais, rescapés du camp de Aïn Al Ourrak, dans une description recueillie par le Foreign Office, évoquent un endroit infernal, en dehors du site minier de Bouarfa, dans le sud marocain, où les internés étaient affamés et assoiffés sous 50 degrés à l'ombre, là où il n'y avait pratiquement pas d'ombre.
Robert Satloff établit qu'il n'y avait pas que des juifs dans ces camps. Ceux-ci n'en constituaient, en moyenne, que le tiers; les autres, c'étaient, pêle-mêle, des communistes, des socialistes espagnols et des gaullistes français ; des Allemands anti-nazis, des Arabes. Dans l'un des camps, il y avait même un japonais “délocalisé” par le tourbillon de la guerre. L'auteur rappelle «qu'il convient de ne pas oublier ces Arabes du Maroc, d'Algérie et de Tunisie, qui étaient persécutés, expédiés aux camps et parfois tués aux côtés des juifs et d'autres adversaires de Vichy. Les autorités locales envolaient de force des Arabes pour le travail obligatoire, lorsque la main d'œuvre de la communauté juive étaient épuisée».
Tenons nous-en aux juifs. Qui étaient-ils et qui est le donneur d'ordre de leur déportation? Il est évident que les ordres émanaient strictement du gouvernement de Vichy. Mais avant d'être exécutés avec zèle par le Résident général Noguès, celui-ci avait-il besoin de l'assentiment de Mohammed V dont la position était peu enviable. «Pour Mohammed V, écrit Robert Satloff, la seconde guerre mondiale était une période particulièrement périlleuse. En tant que Souverain d'un protectorat français, il a régné, mais pas gouverné. Le Résident général français présentait ses recommandations au Sultan qui étaient autant de diktats ». Et il ajoute, « cependant, le Sultan n'était pas totalement impuissant. Son influence symbolique, il en a souvent usé pour asseoir son pouvoir et tirer avantages pour son pays».
Selon les propres termes de l'auteur, Mohammed V était consterné par les lois raciales de Vichy. Il a, d'après l'auteur, mis deux bémols de poids aux décrets anti-juifs que lui présentait Noguès. Un. Les sujets juifs de Sa Majesté sont définis par leur foi et non par la race. Un principe ancestral qui en fait des Marocains à part entière, égaux en droits et devoirs aux musulmans. Deux. Les interdictions d'exercice de certaines professions (le numerus clausus) et les quotas pour les étudiants juifs, ne devaient s'appliquer ni aux institutions communautaires, ni aux écoles religieuses, ni aux œuvres de bienfaisance juives. Ce qui a permis aux structures juives de continuer à fonctionner presque normalement ; et, surtout, de recevoir les subventions pour le faire.
Mohammed V a ainsi déployé un énorme parasol royal qui a protégé les juifs marocains de la vindicte génocidaire de l'Allemagne nazie et de ses exécutants, par procuration, de Vichy. Qui étaient, alors ces juifs des camps de concentration édifiés sur le sol marocain? C'était, tout simplement, des “juifs étrangers”, tel que les appellent l'auteur, qui ont fui les persécutions allemandes un peu partout en Europe, et qui transitaient par le Maroc, à la recherche d'un lieu de refuge. En attendant, ils se sont installés sur le territoire marocain et ils y ont été rattrapés par ce qu'ils fuyaient.

Après la résistance de Mohammed V à propos de l'ascendant de la foi sur un quelconque facteur fondé sur la race a considérablement réduit la pression de la résidence sur les Juifs marocains, le Roi entre publiquement en dissidence selon une note du Quai d'Orsay lorsqu'il déclare aux notables juifs invités à la Fête du Trône « Je n'approuve nullement les nouvelles lois anti-juives et je refuse de m'associer à une mesure que je désapprouve. Je tiens à vous informer que comme par le passé, les israélites restent sous ma protection et je refuse qu'aucune distinction soit faite entre mes sujets ».
Conséquence de cette profession de foi, aucun juif marocain ne fut interné dans les camps !
La Résidence n'a pas pour autant lâché prise. Ordre a été donné pour recenser les biens juifs dans tout le pays. Objectif, la confiscation, comme partout où les Allemands ont pris possession des lieux. L'auteur rapporte une audience secrète accordée par Mohammed V aux représentants de la communauté juive du Maroc. Le Sultan les a assuré qu'ils ne seront, en aucun cas, dépouillés de leurs biens. « ces actes, souligne l'auteur, font qu'aujourd'hui encore les Juifs marocains célèbrent le Sultan Mohammed V comme leur sauveur, le plus grand, le plus juste et aussi l'un des dirigeants les plus tolérants que les Juifs n'aient jamais connu dans leur histoire ».


Mohammed V avec le Rav Shlomo MESSAS

Ceci pour ce qui est de la position adoptée par le Sultan du Maroc ; reste à connaître l'attitude des Marocains à l'égard des juifs durant cette période. Largement, très largement identique, selon l'auteur. Les autorités françaises, répercutant les directives de Vichy, ont bien essayé de remonter les marocains contre les juifs. Ça n'a pas marché. Robert Satloff n'en veut pour preuve que deux exemples.
Un. Aucun Arabe ne s'est présenté comme administrateur potentiel des biens juifs recensés. Et pourtant l'occasion était bonne pour réaliser un profit rapide en se proposant comme futur acquéreur d'une propriété juive au prix très bas fixé par Vichy. Même les imams, dans les mosquées, ont déconseillé ce genre d'attitudes. « Connaissez-vous, s'exclame l'auteur, d'autres exemples d'une si admirable dignité collective ? ».
Deux. Le comportement des gardiens marocains des camps de concentration. Tous les témoignages rapportés par Robert Satloff concordent pour dire « qu'il n'y avait aucune crainte de ces gardes arabes, mais plutôt des militaires encadreurs français ». L'auteur cite « un rapport rendant compte de nombreux cas de tortures sadiques sur les malheureux prisonniers juifs et non-juifs, où les seuls étincelles d'humanité venaient des gardes Arabes de Aïn Al Ouarrak ». Toujours dans ce même lieu, l'auteur restitue un épisode significatif : « N'ayant pas eu d'eau toute la journée, les prisonniers ont refusé de travailler. Ils sont allés demander de l'eau au responsable de camp, le lieutenant Grunter. Il le leur a refusé et leur a ordonné de retourner au travail. Comme ils ne se dispersaient pas, il commanda aux gardes d'ouvrir le feu. Les gardes Arabes tirèrent en l'air, alors que des gardes français blesseront deux prisonniers ».
Au cours de son séjour au Maroc, Robert Satloff a visité le Musée juif de Casablanca qu'il décrit comme « un joyau culturel, unique en son genre dans un pays arabe ». Il a eu cette conversation avec son conservateur : « quand j'ai interrogé le conservateur au sujet des explosions de violences lancées contre les quartiers juifs dans les grandes villes du Maroc, pendant la guerre, il est devenu presque apoplectique. Il a énergiquement nié qu'une telle chose pourrait s'être produite».

Avant d'élargir son investigation, en ces termes : « Pratiquement chaque juif que j'ai rencontré au Maroc, et en Tunisie, a comme un seul homme présenté une défense vigoureuse du rôle joué par les princes musulmans locaux, particulièrement le Sultan du Maroc et le Bey de Tunis, en protégeant “leurs juifs” ; ce qui était la vérité vraie ».



Le bey et De Gaulle


Tout est dit. Enfin, presque.
Car Robert Satloff fait une mise en contexte plus générale : «Prises ensemble, ces histoires d'Arabes aidant des juifs montrent que même les dures réalités de la guerre n'ont pu éteindre la générosité humaine la plus élémentaire… En d'autres moments et en d'autres lieux, les actes décrits dans ces histoires ne seraient pas aussi remarquables. Mais dans les circonstances et les endroits où ils se sont produits, ces faits sont extraordinaires».
Robet Satloff, dans un article paru le 8 octobre 2006 dans le Washington Post, milite pour la reconnaissance officielle de ces héros arabes de l'Holocauste qui, anonymes ou connus, comme Mohammed V, méritent d'être inscrits parmi les justes des nations pour avoir ouvert leur cœur aux juifs durant les persécutions nazies.

Les faits historiques sont suffisamment têtus pour ne supporter aucun révisionnisme, d'où qu'il vienne et quelles que soient les tentations de relecture à partir d'autres faits présents.