dimanche 25 novembre 2012

Les samaritains : descendants des tribus israélites de Manaché et Ephraïm !

Dans un village des collines de Samarie surplombant Naplouse, le jeune homme qui tient l’épicerie de la rue principale m’affirme : "Un jour, peut-être, moi aussi je serai Cohen ha-Gadol !". Le Cohen ha-Gadol, c’est-à-dire, le grand prêtre de la nation israélite. Asher Cohen vit sur la terre de ses ancêtres, le mont Garizim, le lieu sacré des Samaritains.
 
Les Samaritains comptent en tout et pour tout huit cent âmes ; ce petit peuple minuscule a toutefois traversé les siècles depuis les temps bibliques jusqu’à l’époque moderne, sans jamais quitter la terre d’Israël. La Torah de Moïse incarne le centre de gravité de l’existence de leur communauté. Ses membres vivent aujourd’hui entre Tel-Aviv, plus précisément dans la banlieue de Holon, et la Samarie, sur le mont Garizim, dans l’Autorité Palestinienne.
 
Ayant vécu parmi les autochtones qui ont peuplé la Palestine depuis l’époque romaine, les Samaritains, qui se considèrent comme les descendants des tribus israélites de Manassé et Ephraïm, ont un destin entremêlé avec celui du peuple juif tout en conservant leurs spécificités. Parlant aussi couramment l’arabe que l’hébreu, ils lisent la Bible de Moïse dans une forme primitive de l’alphabet hébreu, et suivent des rites religieux grandement similaires à ceux des Juifs. Cette position particulière leur confère un regard singulier sur les Hébreux de nos jours.
 
A Holon, dans leur quartier surnommé Neve Pinchas, autant que sur le mont Garizim, les Samaritains adoptent un aspect quotidien laïc, vêtus à l’européenne. Pourtant, chacun d’eux suit, sans jamais faillir, les préceptes de la Torah à la lettre. Et s’attache à vivre sa foi telle que leurs ancêtres le faisaient aux temps bibliques.



Le Cohen ha-Gadol, un descendant en droite ligne d’Aaron, le frère de Moïse

P
A la différence des Juifs, qui estiment avoir hérité de Dieu la Torah écrite ainsi que la Torah orale, ensuite compilée par écrit au fil des siècles et de leur histoire dans le Talmud, la Mishna et la Guemara2, les Samaritains ne considèrent comme don divin que le Pentateuque (les cinq livres de Moïse, soit la Torah écrite). Ils ne prennent pas en compte les écrits, commentaires et interprétations des rabbins ayant façonné le judaïsme au cours de l’évolution du peuple juif.
 
Pendant le Shabbat, le jour de repos prescrit par la Bible, aucun Samaritain ne travaille, ne fume, ne prend sa voiture ou n’allume la lumière. Ce jour-là, les hommes portent des robes traditionnelles blanches et prient la journée entière, dès avant le lever du soleil, jusqu’à la tombée de la nuit.
 
C’est à trois heures du matin que la première des cinq prières de la journée est entamée. "Car c’est au cours des dernières heures de la nuit que le divin se révèle à l’homme", me confie Nadiv Sassoni, un ancien du clan, couturier de métier, né à Naplouse mais résidant aujourd’hui à Holon.
 
D’après le récit biblique, c’est également avant les premières lueurs de l’aube que Jacob, le troisième patriarche des Israélites, a reçu la bénédiction de l’ange avec lequel il s’était battu toute la nuit.
 
A l’occasion des fêtes bibliques que sont Pessah, Chavouot, Rosh Hashana, Kippour et Souccot3, la totalité de la communauté se rassemble sur le mont Garizim. Avant les premiers rayons de l’astre solaire, les hommes entreprennent, en chantant en chœur des passages de la Torah, vêtus du costume traditionnel, la montée à pied jusqu’au sommet de leur montagne sacrée.
 
Absorbés dans leurs louanges, les hommes remarqueront à peine le paysage qui se dessine peu à peu sous leurs yeux, le soleil se levant au-dessus du mont Ebal, découvrant la vallée de Sichem. Le grand prêtre de la communauté, un authentique descendant de la lignée sacerdotale des Cohen, héritiers d’Aaron, le frère de Moïse, qui officiaient au Temple de Jérusalem, dirige la cérémonie.
 
Dans leurs pratiques, les Samaritains sont extrêmement stricts. Lorsqu’une femme a ses menstruations, elle ne touche pas son mari ; ni même aucun autre objet de la maison. C’est l’homme qui apporte le dîner ; il pose l’assiette dans la pièce où séjourne son épouse pendant cette période, et s’en retire ensuite. Hors du foyer, elle continue de mener sa vie de tous les jours, se rendant à son travail, comme à l’accoutumée.
 
"C’est comme des vacances !", me confie Rinat Sadaka, une jeune femme de Holon, enseignante dans l’une des écoles municipales. Selon la coutume samaritaine, cette même séparation est observée pendant quarante jours après l’accouchement, si c’est un garçon qui est venu au monde, et quatre-vingt, si c’est une fille.
 
Les Samaritains suivent avec précision les écrits bibliques, si bien qu’ils considèrent certaines pratiques juives, ayant évolué sous l’influence des interprétations rabbiniques, comme non conformes à la loi divine. A Pessah, la fête en souvenir de la sortie d’Egypte des Hébreux derrière le bâton de Moïse, alors que les Juifs israéliens achètent la matza, le pain azyme non levé, au supermarché, les Samaritains le préparent chez eux, en suivant une recette différente (entre autres, comprenant du sel).
 
Il n’existe pas un membre de la communauté qui ignore les lois de la Torah ni qui ne les respecte. Si l’un d’entre eux décidait de s’éloigner de la religion, il devrait quitter définitivement les siens.
 
Alors que je me trouve, au cœur du petit quartier paisible de Neve Pinchas, dans le salon de Shakhar Yeshoua, le responsable du centre communautaire samaritain, il interpelle, par la fenêtre de son rez-de-chaussée, les enfants qui passent dans la ruelle ; il les fait entrer afin que les écoliers me montrent leur savoir. Au sein du clan, tout le monde se connaît par son prénom, et les bambins, d’une dizaine d’années à peine, entrent ici tout à fait à leur aise.

Rinat et sa fille
La pérennité des Samaritains est désormais assurée

 
Yaakov, Joseph, ou encore la petite Zohar, défilent tour à tour devant moi ; ils me récitent, de tête, des versets piochés dans la Torah. Dès leur septième année, tous les garçons et les filles suivent des cours d’instruction religieuse, après l’école. Au terme d’environ un an d’enseignement, les gamins sont prêts à acquérir la majorité religieuse, et s’adonnent devant toute la communauté réunie à leur examen de bar ou bat mitsva (fils ou fille du commandement, un rite initiatique par lequel l’enfant atteint sa maturité religieuse).
 
C’est depuis le plus jeune âge que chacun est tenu de se plier aux pieux commandements : à peine sevrés du sein de leur mère, les bébés jeûneront, eux aussi, le jour de Kippour.
 
La différence fondamentale entre les Juifs et les Samaritains tient en ce qu’ils considèrent comme le principal lieu saint de la religion hébraïque, Jérusalem pour les premiers, le mont Garizim pour les seconds.
 
Selon le narratif samaritain, le schisme entre les deux peuples est survenu à l’occasion d’une division au sein de la lignée des grands prêtres, après la mort de Salomon, au Xème siècle avant l’ère chrétienne. Elie (l’un des prophètes majeurs dans les religions abrahamiques) aurait établi un sanctuaire à Siloh, dans le but de remplacer le mont Garizim ; ceux qui le suivirent devinrent ensuite les Juifs. Les Samaritains demeurèrent sur le mont Garizim, lieu saint dans la Bible, mené par le grand prêtre, issu de la lignée d’Aaron, Uzzi ben Bukki. "Ils sont partis en Judée, nous sommes restés en Samarie", me raconte Nadiv Sassoni, résumant grossièrement le cours de l’histoire. Le nom Samaritain, qui provient de l’hébreu Shomron, Samarie.
 
Jérusalem incarne, pour les descendants modernes des Samaritains, uniquement la capitale de l’Etat hébreu.
 
Au cours des premiers siècles de l’ère chrétienne, le peuple samaritain comptait quelque deux millions d’âmes. En 1920, ils n’étaient plus que cent-quarante-six. Shakhar Yeshoua relate que ses ancêtres ont subi de nombreux massacres et conversions forcées, perpétrés par les envahisseurs successifs, les Grecs, les Romains, puis les Arabes, ce qui explique la diminution dramatique de leur nombre.
 
Observant, impuissants, leur affaiblissement au fil des générations, les Samaritains s’appliquaient à honorer leur culte avec ferveur ; "nous étions pauvres, il n’y avait pas de travail. Nous écrivions la Torah", narre Nadiv Sassoni, qui, du haut de ses 70 ans, évoque une période qu’ont vécue ses parents.
 
Depuis l’avènement de l’Etat d’Israël, la communauté prospère, sous la protection des autorités, qui leur ont aménagé le quartier de Holon, en 1952. En 1988, les Samaritains ont également réinvestit les hauteurs du mont Garizim, sur une parcelle de terre que le roi Hussein de Jordanie leur avait accordée durant son règne sur la région. Plusieurs siècles avant cette date, les Samaritains étaient établis dans la vallée de Naplouse, alors en proie à des violences de la part des indigènes arabes, qui les assimilent, aujourd’hui encore, à des Juifs.
 
Sur le mont Garizim, je suis reçue chez le grand prêtre, Aaron ben Ab-Hisda ben Yaacov. Souriant, abordable - il me donne, comme à une enfant, un chocolat emballé dont il conserve un stock au dessus d’une armoire de son séjour - le Cohen ha-Gadol incarne un personnage imperceptiblement imposant. De par sa tenue - il porte une robe-tunique verte et un turban rouge -, mais surtout par sa contenance, unique, tel le fruit d’un mélange de sagesse et de simplicité.
 
"Aujourd’hui, il s’agit de la meilleure période pour les Samaritains", m’indique-t-il. Sa déclaration corrobore les propos de Rinat Sadaka, qui m’avait expliqué : "Nous craignons moins de disparaître, maintenant que nous vivons dans une démocratie".

Les Samaritains se réunissent pour prier au lever du soleil sur le mont Garizim
 
Les Samaritains sont de fidèles Israéliens, conscients du salut que le retour massif des Juifs en Terre sainte leur a apporté. De part et d’autre de la ligne verte, les membres de la communauté ont tous la nationalité israélienne ; les jeunes hommes effectuent leur service militaire, et les filles accomplissent un an de volontariat civil.
 
"Nous sommes israéliens", me lance Mendès Malriv, un jeune homme installé sur le mont Garizim, sous le toit familial. Des drapeaux à l’étoile de David - qui n’a pourtant jamais été le roi des Samaritains - sont accrochés à certaines maisons du quartier de Neve Pinchas à Holon ; et à l’occasion de Yom Hatzmaout (le jour de l’indépendance de l’Etat hébreu), les membres de la communauté ne manquent pas de participer aux célébrations avec leurs concitoyens.
 
Du côté de Naplouse, les Samaritains se font en revanche plus discrets quant à leur fidélité à l’égard de l’Etat d’Israël. "Nous ne sommes pas à l’abri des dangers", me confie Shakhar. En apparence, les Samaritains adoptent une position neutre dans le conflit israélo-palestinien afin de ne pas perturber l’équilibre fragile de la cohabitation avec leurs voisins arabes, qu’ils côtoient au jour le jour, dans les commerces, dans les écoles ou sur les bancs de l’université de la vallée.
 
 "Nous sommes en bons termes avec tout le monde", me précise Mendès Malriv, m’indiquant compter, parmi ses amis, autant de Juifs que d’Arabes. "Toutefois", poursuit-il, "je suis conscient de la haine qui existe profondément à notre encontre, chez certains Arabes". Il conclut ses propos de manière humaniste et diplomatique : "il y a des gens plus ou moins bien partout ; finalement, tous les êtres humains sont semblables".
 
En s’adressant à la journaliste que je suis, le jeune homme me soumet son point de vue sur la perception du conflit israélo-palestinien à l’étranger : "les journalistes se tiennent systématiquement du côté palestinien ; tout le monde se positionne contre Israël". Il fait une pause avant de m’aviser : "mais Israël a toujours raison".
 
L’Etat hébreu est, pour cette petite communauté, synonyme de sécurité ; de liberté aussi.
 
En faisant référence aux Juifs et aux Samaritains, Rinat Sadaka m’indique : "Nous formons un seul peuple, les enfants d’Israël", tandis que sa blondinette de fille nous tourne autour pendant que nous discutons. "Nous avons la même foi", surenchérit de son côté le responsable du centre communautaire de Holon ; il illustre ses propos en évoquant les similarités : "le même Dieu, le même Moïse, la même Torah, une foi identique dans le messie" ; "la seule différence, c’est le mont Garizim", note-t-il.
 
Si les sources des convictions religieuses sont identiques, du point de vue de la mise en pratique du message divin, les Samaritains estiment que les Juifs se trompent. "Notre voie est la seule correcte", m'atteste, de manière fataliste, le chef spirituel du clan.

Source Menaexpress