mercredi 14 novembre 2012

Voyage au centre de la mer


Lentement, sûrement, mais surtout discrètement, Israël a dernièrement doublé sa superficie, en s'étendant sur des « espaces économiques » en Méditerranée. C'est dans ce nouvel « État en pleine mer » qu'ont été découverts de gigantesques gisements de gaz, qui exigent la mise en place de moyens sécuritaires dignes d'un vrai pays. Ces gisements sont bien entendu l'objet de tous les espoirs, mais ils constituent également un vrai casse-tête sécuritaire pour l'État d'Israël.

Cela pourrait se produire demain, ou peut-être seulement dans un an, ou peut-être jamais. Deux terroristes plongent depuis un simple bateau de commerce naviguant dans la Mer Méditerranée. Profitant de la nuit, ils parviennent à approcher l'une des nouvelles et grandes plateformes de gaz israéliennes. Sans que personne ne s'en aperçoive, ils déposent des engins explosifs à divers emplacements, pour, une fois éloignés de là, les faire exploser à l'heure choisie.
Ceci pourrait être le scénario du premier attentat maritime de ce « nouvel État » de l'État d'Israël. Une explosion qui détruirait l'une des plateformes les plus coûteuses en activité dans le monde, dont la valeur approche le milliard de dollars, sans compter le prix en vies humaines.
Le gouvernement convoque une réunion d'urgence, alors que l'état major général se réunit en parallèle.
Dans les médias, le mot « Fiasco ! » s'étale sur toutes les unes. Certains réclament déjà la démission du commandant de la marine, d'autre la nomination d'une commission d'enquête pour déterminer si cette catastrophe aurait pu être prévue.
Tout ceci résonne comme un cauchemar lointain. Et pourtant, il s'agit d'un scénario des plus réalistes.
Lentement mais sûrement, Israël a, ces dernières années, quasiment doublé sa superficie en créant des « zones économiques » en pleine mer. Dans ce nouvel État maritime, Israël a découvert d'énormes gisements de gaz, qui dissimulent peut-être des ressources pétrolières. Ce « nouvel état » demande la même attention que requiert l'État d'Israël lui-même.
« Les zones économiques maritimes, nous explique le commandant de la marine, le colonel Ram Rothberg, sont équivalentes à la superficie de tout l'État d'Israël, c'est pourquoi la marine doit se doter de forces supplémentaires. Comme élément de comparaison, aujourd'hui, la marine contrôle une superficie maritime de 13 500 km². Cette nouvelle zone économique est estimée à 23 000 km². »
Le commandant est heureux qu'Israël possède désormais les zones économiques dont le pays rêve depuis des années. Mais il est clair que « pour pouvoir protéger ces zones d'exploitation économiques, Tsahal et sa flotte devront accroître leurs forces en dessous et au-dessus du niveau de la mer. » Selon lui, « la solution principale consiste à accroître notre présence dans la région, sur le terrain, pour assurer la sécurité des plateformes et de l'acheminement du gaz vers Israël. »
Et d'affirmer : « La découverte de ces gisements de gaz est source de grands espoirs et place Israël sur la carte des puissances énergétiques dans le monde, mais en même temps, il ne faut pas oublier l'environnement dans lequel nous nous trouvons. Assurer la sécurité de ces installations gazières en pleine mer représente un nouveau défi pour la marine »
Le commandant Rothberg a raison : l'État d'Israël a de quoi se réjouir. Alors que nous rejoignons le pont supérieur du bateau qui navigue loin des frontières d'Israël, où que nous posions les yeux, nous apercevons une plateforme, puis une autre, ainsi que des bateaux de service et de sécurité. Autant de signes distinctifs de l'existence du « nouvel État ».
L'un des officiers qui nous accompagnent peine à trouver les mots pour décrire ce qu'il ressent. Finalement, il nous dit : « Vous voyez tout cela ? C'est comme les débuts de l'installation juive en Judée-Samarie. Au début, c'était un peu un acte de piraterie, et puis tout doucement ça se transforme en quelque chose de grand et des villes entières s'élèvent aujourd'hui là-bas. Nous sommes là, en pleine mer, émus de vivre cette expérience fondatrice. »

À la découverte d'un Nouveau Monde
Israël ne possédait pas de richesses minières avant la découverte de ce gaz naturel dans les profondeurs de la mer Méditerranée. Les spécialistes estiment la nappe à plus de 800 milliards de shekels.
Selon les contrôles de la commission gouvernementale nommée dans le but de créer un fonds d'exploitation des ventes, les recettes prévues des gisements « Léviathan », « Tamar » et « Dalit » se monteraient à 100 voire à 130 milliards de dollars jusqu'en 2040.
Alors, quoi de plus normal que de voir les Turcs, les Libanais, les Syriens et les Palestiniens se réveiller pour réclamer leur part de propriété sur ces zones maritimes, qui n'avaient jusqu'alors attiré l'attention de personne ?
« Les trésors de la mer Méditerranée, a déclaré le premier ministre Binyamin Nétanyaou, sont les enjeux stratégiques les plus importants de l'État d'Israël. La découverte de ce gaz appartient au peuple juif dans son intégralité, et Israël se doit d'en profiter. »
« L'économie israélienne va être renforcée par ces découvertes, la croissance économique sera une conséquence de l'usage de ces découvertes et il ne faut plus les retarder. Les citoyens d'Israël auront bientôt le privilège d'économiser 12 milliards de shekels », a-t-il ajouté.
Le gouvernement a d'ores et déjà approuvé le programme de construction d'un pipeline pour acheminer le gaz depuis les gisements jusqu'aux côtes. Les bateaux qui installent les tuyaux sont déjà à l’œuvre et nous avons entendu les chefs de chantiers crier leurs espoirs de voir le gaz arriver à bon port d'ici moins d'un an et sortir par les « robinets » déjà installés sur le littoral.
Deux sites maritimes accueillent les plateformes où sera réuni le gaz extrait des réserves sous-marines. De ces plateformes, sortent les tuyaux par lesquels le gaz est acheminé par pression à partir de quatre points d'intégration situés sur le littoral.
Eugène Kendel, conseiller financier du Premier ministre et président du Conseil national de l'économie, a récemment déclaré aux participants du congrès d'Eilat sur les énergies renouvelables : « D.ieu a placé ces trésors de gaz et peut-être de pétrole aux alentours de la terre d'Israël, mais cela nous a pris des milliers d'années pour les trouver. Nul doute qu'ils ajouteront 3 % au PIB. Après 2 000 ans de persécutions, notre peuple mérite de recevoir quelque chose qui permettra notre survivance ». Selon lui, « la découverte de ces gisements marins a le potentiel d'être le moteur de la croissance d'Israël. »
Israël achète actuellement du pétrole et du gaz de différents pays du monde, dont l’Égypte et la Turquie. Inutile de dire que rien ne permet de croire que ces pays seront éternellement intéressés à subvenir à nos besoins énergétiques. Le gaz découvert en mer pourra mener Israël à son indépendance économique, et pourra lui apporter plus de pouvoir stratégique, au-delà des recettes financières et des nombreuses taxes que l'État réclamera aux sociétés productrices. Tout cela en marge de l'aspect écologique : en effet, le pétrole, grâce auquel Israël produit son électricité, est polluant, contrairement au gaz.




Les retombées pour les consommateurs
Est-ce que le nouveau gaz israélien va réduire les coûts de l'électricité ? C'est le colonel de réserve Iftah Ron Tal, aujourd'hui président de la compagnie d'électricité, qui répond positivement à cette question. Le gaz naturel, ajoute-t-il, non seulement réduira le prix de base, mais réduira également les charges de toutes les usines qui utiliseront ce gaz, dont les machines demandent un entretien plus sommaire que celles utilisant le pétrole comme moyen de combustion.
Ron Tal explique que la compagnie d'électricité israélienne utilise actuellement, pour la production de son électricité, environ 60 % de pétrole et 40 % de gaz naturel, tous importés. Dans peu de temps, affirme-t-il, le pays pourra produire 100 % de son électricité avec son propre gaz naturel. C'est une véritable révolution, à tout point de vue.
Sur le bateau, nous expérimentons ce que ressentent ceux qui travaillent sur les plateformes et sur les bateaux qui se chargent de l'installation des pipelines en direction d'Israël. Ce n'est pas une sensation très agréable, même si la vue est impressionnante, des côtes du Liban à celles de Chypre que l'on imagine à l'horizon. De temps en temps, quelqu'un se penche sur le pont pour y vomir ses tripes. « Prends une grande tranche de pain noir, lui conseille l'un des officiers, ça soulagera tes nausées. »
Les yeux regardent le nouveau pays en construction sur la mer et de nombreuses questions se posent. Près de nous, nous apercevons deux bateaux qui, selon leur pavillon, sont libanais pour l'un et syrien pour l'autre. Chacun navigue dans une direction, et chacun passe à quelques centaines de mètres de l'une des plateformes. N'est-il pas possible que de l'un d'entre eux puisse envoyer des mines sous-marines ? N'est-il pas possible qu’à bord de l'un d'entre eux, des terroristes tentent de saborder l'une des plateformes ?
Nous posons la question à l'un des officiers qui nous répond : « Nous avons des réponses à toutes ces questions. Tout est prévu dans le programme de protection des plateformes ». Nous tentons, malgré tout, d'obtenir des réponses : que se passerait-il si des terroristes prenaient le contrôle des plateformes ?
L'officier ne semble pas s'émouvoir de la question, il sourit et répond : « Si vous connaissez quelqu'un de l'escadrille n°13 (Shayetet 13), les commandos de la marine, demandez-lui quels entraînements il a subis pour répondre à ce genre d'action. »

Le programme de défense
La marine, nous déclare le commandant Ram Rothberg, vient d'achever la préparation d'un gigantesque programme de défense des plateformes de gaz des sociétés israéliennes qui travaillent déjà en mer Méditerranée, et le gouvernement va demander, lors de l'une de ses prochaines, réunions d'octroyer 3 milliards de shekels supplémentaires par an pour le mettre en œuvre.
Le système de protection qui a été mis au point se fonde sur 4 navires des plus performants où seront disposés des radars et des hélicoptères marins qui survoleront et repèreront tout danger dans un angle de 360°, au-dessus et sous la surface de l'eau. Des drones devraient également faire partie du dispositif de surveillance.
Pour que ce système fonctionne, la Marine a besoin de 250 hommes supplémentaires bien entraînés, officiers et combattants, qui maîtriseront ces bateaux et leur système de défense et qui permettront de défendre 24 h/24 les quatre points de forage principaux, véritables enjeux stratégiques du pays.
Actuellement, les quatre grandes plateformes sont protégées par des sociétés de protection civile, qui se trouvent sur les plateformes. Un navire de la marine nationale protège également le site à distance sur tous les fronts de mer.

Une agitation globale
Les changements de ces six derniers mois au Moyen-Orient pourraient, selon des officiers de la marine, provoquer une agitation sur plusieurs fronts, et pas forcément au-dessus de la mer.
« L'agitation au Moyen-Orient n'épargne pas la mer, et le fait que la Syrie possède des missiles performants doit nous interpeller, même si nous sommes prêts à tous ces scénarios, » nous explique Rothberg, qui ajoute que « nous avons encore besoin de quelques navires de pointe pour assurer la sécurité de ces installations et de ces gisements de gaz. »
Le haut commandement de la marine nationale, conscient de l'amélioration des flottes ennemies, ne perd pas de vue que l'armée égyptienne s'apprête à acquérir deux nouveaux sous-marins allemands, semblables à ceux qu'Israël vient d'acheter. « Même si nous ne savons pas quelles sont leurs intentions, il est évident qu'ils s'arment. Du côté est de la mer Méditerranée, la marine turque a elle aussi placé ses nombreux bâtiments de guerre, qui sillonnent la mer sans arrêt et multiplient ses observations, sans que personne ne soit capable de dire quelles sont ses intentions à long terme. »

Le soir tombe et notre périple se termine. Sur les plateformes, les torches brûlent, de cette même flamme qui brûle au-dessus des raffineries, cette torche permanente qui ne sert en fait qu'à mieux protéger le site. Ce gaz qui brûle est le résidu des matériaux inutiles qui sont ainsi brûlés et dispersés, sans provoquer de pollution.
« Le nouvel État maritime » éclaire loin. C'est un État plein de promesses, mais en proie à de nouvelles menaces que nous ignorions jusque-là.

Source : Hamodia