mercredi 6 février 2013

The Gatekeepers : Au cœur des services secrets israéliens


Le casting est rarissime, le document exceptionnel. Avec Gatekeepers, documentaire israélien qui sera diffusé le 5 Mars sur Arte à 20 h 50, Dror Moreh réalise un travail comme on en voit peu, alors ne le ratez pas.

Le style est sobre et tout en finesse : pas besoin d’en faire des tonnes quand on a pareille distribution et on apprécie que le réalisateur ait su s’effacer devant la force des propos de ses intervenants. L’ambiance est toutefois bien restaurée grâce notamment à des images de drones assez incroyables, une musique (originale) bien dosée, tout cela sans exagération : cet homme-là ne cherche pas le sensationnel, il l’a déjà. L’équilibre entre les images d’archives et les interventions des six personnalités donne à ce film un caractère historique immédiat et c’est effectivement une page de l’Histoire d’Israël de 1967 à 2011 qui se déroule sous nos yeux pendant 95 minutes.



Mieux, ces pages d’histoire nous sont racontées par ceux qui ont largement contribué à les écrire et non des moindres : Avraham Shalom, Yaakov Peri, Carmi Gillon, Ami Ayalon, Avi Dichter, Yuval Diskin sont les six anciens patrons du célèbre Shin Bet, l’agence de contre-espionnage israélienne. Six hommes aux fortes personnalités, aujourd’hui en retraite, qui ont consacré tout leur temps, pendant des années, à la sécurité intérieure d’Israël.


Dror Moreh

Devant la camera de Dror Moreh, ils s’expriment librement sur leur métier, leurs doutes, leurs craintes, leurs certitudes, leurs espérances, leurs états d’âme aussi (eh oui, ils en ont !), leurs succès ou leurs échecs, leurs regrets. Et le moins que l’on puisse dire c’est que ces six gaillards-là ne font pas dans la langue de bois. Ils sont d’une lucidité implacable, sans ménagement pour la plupart des dirigeants politiques israéliens… Mis à part Ben Gourion qu’Ami Ayalon appelle « le Vieux » avec visiblement beaucoup de tendresse, et Rabin dont l’assassinat est un traumatisme permanent pour tous et dont ils gardent la culpabilité, les autres dirigeants sont tous, peu ou prou mis en cause pour leurs décisions, leurs non-décisions, leur choix politiques, voire les trois à la fois pour certains… Certes, on peut considérer qu’il est souvent tentant et un peu facile de réécrire l’histoire des années plus tard, confortablement assis dans un fauteuil et retiré des affaires. Il n’y en aurait qu’un… mais six ! C’est l’Institution-Shin Bet qui se met à table, ce n’est plus une révolte, c’est une révolution comme dirait l’autre ! Et on les écoute, car ils sont passionnants, vrais et parfois bouleversants.




Car ces hommes-là étaient bel et bien sur le terrain, face au terrorisme le plus sanglant qu’ait connu Israël  quand les bus explosaient en pleine rue de Tel Aviv ou de Jérusalem et les images d’archives sont là pour nous le rappeler (attention aux enfants lors de la diffusion d’ailleurs). Leurs arguments, leurs explications vont bien au-delà du règlement de compte envers leur hiérarchie comme certains se sont empressés de leurs reprocher par voie de presse lors de la diffusion en Israël. Ces hommes-là ont fait leur boulot, ils ont obéi aux ordres même quand ils pensaient que le choix n’était pas le bon et en ont assumer les conséquences. Et le réalisateur ne se prive pas, à plusieurs reprises, de leurs rafraichir la mémoire et de leurs mettre le nez dans la réalité.




On a dit que la diffusion de ce documentaire en Israël avait pu compter dans le vote des Israéliens aux récentes élections. Ce n’est pas impossible. Gatekeepers a une force pédagogique évidente, inhérente à la présence des intervenants bien sûr mais aussi à la réalisation tout en finesse de Dror Moreh et de son équipe. Ce film est porteur d’espoirs. Il est aussi une preuve de plus s’il en était besoin, qu’Israël est une démocratie où même les agents des services de sécurité peuvent s’exprimer librement.
En tout cas, si j’étais à la place de l’actuel patron du Shin Bet, j’essaierais de le recruter au plus vite car cet homme-là à un pouvoir de persuasion peu commun pour avoir réussi à mettre devant sa caméra six anciens dirigeants du Shin Bet d’un coup !

Par Brigitte Thévenot

Gatekeepers, un film de Dror Moreh
Produit en 2012 par Les Films du Poisson, Dror Moreh Productions et Cinephil
Coproduit avec ARTE France, IBA, NDR, et la RTBF
Ce film est nominé pour le Meilleur long-métrage documentaire aux Oscars 2013