dimanche 6 avril 2014

Liad Shoham : le polar israélien à l’attaque


L’auteur israélien Liad Shoham, présent aux Quais du polar de Lyon, signe un thriller nerveux, «Terminus Tel-Aviv», traitant du sort des immigrés clandestins dans l’Etat hébreu. Avec nous, il revient sur ce sujet qui excite tout à la fois les tensions civiles, l’appétit des mafias et alimente le petit commerce de l’extrême droite...    

Comme celles d’Ellroy (qui s’y est collé hier en fin d’après-midi avec une bonne humeur partie pour durer), les séances de dédicace de Camilla Läckberg, la « reine du polar nordique » font un tabac au Palais du Commerce, le QG des Quais du polar de Lyon. Actes Sud, son éditeur, est aux anges et, malgré l’inanité de sa prose, ses lecteurs en redemandent. Comme quoi le « genre » a aussi ses Gavalda et ses Nothomb.
  L’avantage du grand raout lyonnais (qui célèbre son dixième anniversaire), c’est que l’on peut facilement éviter cette punition tant le plateau déborde d’auteurs ayant beaucoup mieux à offrir que du polar-nanar. Par exemple, l’Israélien Liad Shoham, auteur de Tel-Aviv Suspects, paru l’an dernier, et qui a publié tout récemment Terminus Tel-Aviv (1), un thriller nerveux, traitant du sort des immigrés clandestins dans l’Etat hébreu où leur nombre croissant excite tout à la fois les tensions civiles, l’appétit des mafias et alimente le petit commerce de l’extrême droite.    
  En Israël où la littérature policière n’a pas toujours eu le succès qu’elle connaît en Europe, les deux polars de Liad Shoham se sont néanmoins vendus chacun à près de 40 000 exemplaires. Un carton qui en fait soudainement un des auteurs les plus lus dans le pays. Terminus Tel-Aviv débarque dans les librairies françaises à peu près au même moment que Une disparition inquiétante (2) de son compatriote Dror Mishani, polar subtil, insidieux et assez cafardeux se déroulant en grande partie à Holon, une banlieue de Tel-Aviv sans identité affirmée. Universitaire spécialisé dans l’histoire du roman policier, Mishani était il y a peu à Paris. Liad Shoham, lui, vient pour la première fois à Lyon.
 
Entretien...
 
Marianne : Pourquoi l’immigration clandestine ?
Liad Shoham : J’écris de la littérature policière essentiellement pour traiter des problèmes sociaux. Or, la question des immigrés clandestins, notamment africains, les plus nombreux, a pris une dimension très polémique en Israël. Vous savez, ils n’ont pas besoin de prendre un bateau pour venir chez nous, ils arrivent en masse par la route. J’ai souhaité exposer différents points de vue, à travers une variété de personnages, afin d’obtenir une vision panoramique du problème.

Comment le livre a-t-il été reçu ?
Honnêtement j’avais très peur des réactions. Le sujet déchaîne les passions et, presque automatiquement, le clivage politique droite-gauche que je ne comprends pas. Israël, c’est clair, ne peut pas accueillir indéfiniment des dizaines de milliers d’immigrés clandestins. Nous ne sommes plus à l’époque de Menahem Begin qui ouvrait grand les portes du pays aux boat-people vietnamiens. Ils étaient quelques centaines. Maintenant il s’agit d’une déferlante. Ok, nous sommes tous d’accords, mais en attendant qu’ils partent, comment les traite-t-on ? Cette question a évidemment une résonance particulière dans une nation elle-même construite par des immigrés issus d’une diaspora ayant connu l’Holocauste. Donc je savais qu’aborder ce thème n’était pas anodin. Je suis très populaire désormais dans mon pays et j’ai une certaine responsabilité quand je traite de la réalité. J’ai donc rencontré des flics ou des avocats travaillant avec les réfugiés africains et tous ont souhaité me faire partager leurs opinions et leurs dilemmes. Au départ j’ignorais tout de la complexité du problème, je crois avoir, d’une certaine manière, fait œuvre pédagogique.

Mais les réactions…
Ah bien sûr des gens ont dit « il ne devrait pas parler de ça », d’autres au contraire m’ont félicité. Mais voici une réaction révélatrice, celle du journal Makor Richon, un quotidien très conservateur. Ils ont d’abord chroniqué le livre en vantant l’écriture pour aussitôt contester tout le fond, selon eux, naïvement « droit de l’hommiste ». Puis, une semaine plus tard, ils m’ont rappelé et m’ont proposé une très longue interview. J’ai accepté et ce fût assez positif. Encore une fois, cette question ne devrait pas susciter autant de divisions, il ne s’agit pas d’Israël et de la Palestine, juste des droits élémentaires des individus.

Comment êtes-vous venu à la littérature policière ?
Franchement par hasard et sans trop le vouloir. Pour me détendre de mes activités d’avocat commercial, j’ai commencé à écrire des petites nouvelles puis quatre livres, tous publiés, mais sans aucun rapport avec l’univers du polar. Puis, un beau jour, un éditeur m’a suggéré de lui faire une proposition et, bien que totalement novice, nous nous sommes finalement orientés vers un polar.

Votre confrère Dror Mishani explique le peu de retentissement du genre en raison de l’obsession de la littérature israélienne pour les questions liées au projet national, à l’identité juive et collective alors que le polar traite prosaïquement de la violence ordinaire ?
Je trouve l’analyse de Mishani assez arrogante, je lui ai d’ailleurs fait part de mon avis. Même si c’est pour regretter la soi-disant sous-exposition de la littérature policière, son propos exprime surtout le point de vue d’une petite communauté littéraire assez repliée sur elle-même. Le polar marche bien en Israël, ça ne date pas d’aujourd’hui, et nous avons des auteurs en vue : Batya Gour bien sûr (décédée en 2005) et, dans ma génération, Yair Lapid, le fils de Shoulamit, lui aussi très populaire.

Le polar fait souvent écho à des sociétés urbaines, marquées par des problèmes assez similaires. Israël se normalise-t-il ?
Oui bien sûr et c’est pourquoi le polar y trouve toute sa légitimité. Il y a un point où je suis d’accord avec Mishani : aujourd’hui on compte plus d’Israéliens tués à cause de la délinquance violente, de conflits conjugaux ou d’accidents de la route que dans des attentats commis par les Palestiniens. Pour Ben Gourion, Israël deviendrait une société normale le jour où nous compterions des voleurs juifs, des trafiquants juifs, nous y sommes…

Et des mafias juives…
Oui il y a des mafias puissantes en Israël, de toutes natures et origines, certaines dirigées par des Russes mais d’autres par des familles installées de longue date sur le territoire national.

Parlez-nous un peu de la police israélienne. Elle est assez méprisée et, en tout cas, souffre de la comparaison avec l’armée ?
Evidemment. Parce que tout le monde en fait partie, l’armée remporte tous les suffrages en Israël. À elle, les hauts-faits glorieux alors qu’on les cherche à la loupe dans les rangs de la police. C’est vrai, celle-ci a une mauvaise image. Ils sont mal payés, passent pour des crétins. L’Israélien moyen rêve de devenir médecin ou avocat, pas flic. Si cela arrive, le plus souvent la famille se lamente de ce choix. Et pourtant ceux que j’ai rencontrés dans le secteur de l’aide aux réfugiés sont des héros à mes yeux. D’autres sont aussi engagés dans la lutte contre la corruption qui a pris des allures de fléau national depuis quelque temps. À cet égard tous ceux qui ne cessent de critiquer Israël et son soi-disant racisme ne devraient pas oublier ceci : c’est un procureur arabe assisté par une équipe de flics juifs qui ont envoyé un de nos anciens présidents de la République (Moshé Katzav, ndlr) en prison.

Et votre prochain livre ?
Il sera publié en mai en Israël. Et, précisément il y sera beaucoup question de corruption….

Propos recueillis par Alain Léauthier
Source Marianne