jeudi 14 août 2014

Analyse : après le nord, le sud perd confiance


Avant même que l’opération Bordure Protectrice ne soit officiellement terminée, on peut déjà noter un phénomène inattendu: une crise de confiance majeure s'est installée chez les habitants du sud du pays, en particulier chez ceux qui vivent près de la bande de Gaza, dirigée à la fois envers l’armée et le gouvernement...


La manifestation la plus évidente de cet inquiétant phénomène est le refus de milliers d'habitants qui ont quitté la région durant l'opération de rentrer chez eux, malgré les promesses du gouvernement et de l'armée selon lesquelles ils peuvent le faire en toute sécurité.
Plusieurs résidents de kibboutz et villages de cette région ne partagent pas l'avis de leurs dirigeants. Ceux qui ont suivi les injonctions de l'armée et qui sont rentrés chez eux ont à nouveau reçu des roquettes et ont entendu encore des alarmes. Ils sont furieux et se sentent trahis. Beaucoup sont repartis, après seulement deux jours d'une promesse brisée.
De nombreux résidents prévoient la tenue d'une importante manifestation jeudi à Tel Aviv sur la place Rabin. Cette place où se déroulent généralement des manifestations de gauche comme de droite, accueillera des citoyens qui disent clairement : “Nous ne vous croyons pas. Donnez-nous des garanties que nous en sommes en sécurité".
Les années durant lesquelles, ces habitants ont vécu avec des roquettes au-dessus de la tête et des tunnels sous les pieds, leur ont enseigné principalement l’autonomie et le scepticisme vis-à-vis du gouvernement. Certains ont même affirmé: “On nous utilisé comme boucliers humains ici.”
Ceci est doublement triste, car ce n’est pas la première fois que des pans importants de la population perdent confiance en les dirigeants de l'Etat. En 2005, le désengagement de Gaza et le déracinement de tous les habitants du Goush Katif et du nord de la bande de Gaza a causé une crise de confiance majeure, non seulement chez les habitants des implantations, mais aussi chez leurs supporters. Les conséquences sociales de cette crise sont toujours présentes aujourd’hui.
En 2006, pendant la deuxième guerre du Liban, controversée et mal-conduite, ce sont des centaines de milliers de résidents du nord qui ont perdu leur foi en l’Etat. Pour eux, l’Etat n'a pas été à la hauteur.
Parfois sans nourriture et sans médicament, souvent sans abris, ils ont été nombreux à se sentir abandonnés face aux frappes venant du Liban
Devant ce vide, Arcadi Gaydamak, oligarque né en Russie, avait mis en place, à ses frais, une tente sur la plage entre Ashdod et Ashkelon. Quelle ironie : Ashdod et Ashkelon, aujourd’hui zones de guerre, était en 2006 un endroit sûr pour les milliers de résidents du nord accueillis par Gaydamak.
La défiance de l’oligarque avait été possible uniquement du fait de la négligence du gouvernement et de son indifférence à l'égard du destin de ses citoyens. Cette brèche n’a jamais été refermée. Les résidents du nord affirment ainsi souvent être conscients de devoir se débrouiller tout seul.
Et aujourd’hui c’est au tour du sud. Pour les habitants de cette région, il s'agit davantage d'un processus que d'une crise soudaine. 14 ans de Qassams et de roquettes toujours plus sophistiquées peuvent fragiliser les gens les plus résistants. Le sentiment qui prévaut le plus dans le sud est que les politiciens ont laissé les choses se produire car ils sont considérés comme faisant partie de la “ périphérie”, et donc moins important. “Nous sommes des citoyens de seconde zone", répètent-ils. "Si les roquettes tombaient à Tel Aviv…”. Il y a quelque chose de vrai dans cette complainte.
L'épreuve prolongée dans le sud a eu des conséquences politiques. Tous les kibboutz de la zone étaient traditionnellement affiliés aux partis de gauche. Il s’agissait même du noyau dur de la gauche. Cela aussi, a changé. Beaucoup, en particulier la jeune génération qui n’a jamais connu la vie sans roquettes, sont passés à droite. D'autres ont estimé que la direction des partis de gauche n'a pas été assez sensible à leur sort.
Aux élections de 2006, le sud a puni “sa” section de Meretz qui avait manifesté contre l’opération “Pluie d’été”. Cela peut expliquer pourquoi Meretz s’est abstenu cette fois de manifester pendant la guerre de Gaza. Aujourd’hui les mêmes résidents soutiennent l’aile droite de la coalition, et le système politique tout entier vacille.
A présent, l'érosion de la confiance s’est généralisée. La réalité choquante des tunnels récemment découverts menant de Gaza directement à leur domicile, la reconnaissance (ou la suspicion) que le gouvernement en avait connaissance, mais n’a pas agi en conséquence, ont provoqué une crise de confiance majeure. Et un des aspects les plus troublants est qu’aujourd’hui, la méfiance touche également l'armée. De haut gradés ont rencontré les résidents du sud, et leur ont présenté des plans militaires pour tenter de les apaiser.
Les généraux ont reconnu qu'on a appelé beaucoup trop tôt les habitants du sud à rentrer chez eux. En vain. Une confiance perdue ne se retrouve pas aussi simplement.
Un calcul simple montre qu’entre le nord, les habitants des implantations et maintenant le sud, peu d’Israéliens semblent avoir confiance en leurs élites. Dans n’importe quel autre pays, ce serait pourtant une bonne nouvelle.
Le manque de confiance envers les gouvernements est parfois vu comme un signe de santé de la démocratie. Malheureusement, c’est souvent dangereux en Israël. Vivre sous les roquettes et les menaces, effectuer un service militaire obligatoire et la mobilisation en urgence de réservistes, requiert la confiance des civils.
Les leaders politiques et militaires ont fait l’éloge du comportement des civils pendant les 34 jours de la guerre. Le sentiment n’est cependant pas réciproque. La confiance doit maintenant être restaurée, quelque soient les résultats de “Bordure Protectrice.” Le manque de confiance met en danger Israël. Encore plus que le Hamas.
Lily Galili est analyste de la société israélienne. Elle a cosigné un livre, "Le million qui a changé le Moyen-Orient" sur l'immigration d'ex-URSS vers Israël, son domaine de spécialisation.
Source I24News