vendredi 15 août 2014

Est-ce que la procédure Hannibal a fait son temps ?


Vendredi 1er août, environ 75 minutes après le début de la trêve, une escouade de trois personnes de l’armée israélienne s’avance vers un endroit suspect à la périphérie de la ville de Rafah. Selon Haaretz, l’escouade n’a pas fait la demande pour être accompagnée d’une escouade de tir-d’appui standard car la trêve était déjà en place. Au lieu de cela, ils se sont avancés vers les lieux subrepticement...


Les hommes armés du Hamas étaient en embuscade. Deux soldats, le Major Benaya Sarel et le Sergent Liel Gidoni sont tués. Un troisième, le Lieutenant Hadar Godin, a été enlevé.
Les autres membres de leur unité, Sayeret Givati​​, se sont déplacés, sous les tirs, vers les soldats tombés mais ne se sont pas d’abord rendu compte que l’un des trois était un homme du Hamas, peut-être portait-il un uniforme israélien, selon Haaretz. Quand il est devenu clair que Goldin manquait à l’appel, les militaires sur le terrain n’ont pas eu à donner une longue explication sur la fréquence de la radio de l’armée. Tout ce qu’ils ont eu à faire c’était prononcer un seul mot : Hannibal.
La procédure Hannibal a été rédigée pendant l’été 1986 – un an après l’accord inégal Jibril, à travers lequel Israël a échangé 1 150 prisonniers sécuritaires en échange de 3 soldats israéliens, et ce plusieurs mois après l’enlèvement des soldats Yossef Fink et Rafael Alsheikh. L’idée était de mettre en place une procédure, connue de tous les soldats, afin de limiter toute tentative d’enlèvement.
« Nous avions besoin de clarté », a déclaré l’ancien conseiller à la sécurité nationale, le Major-Général (réserviste) Yaakov Amidror, l’un des trois officiers qui a rédigé la directive.
Ce qui en est sorti est une directive qui ordonne aux soldats de contrecarrer l’enlèvement d’un autre soldat, « jusqu’à porter atteinte ou blesser nos soldats », mais sans les tuer directement.
J’ai demandé à Amidror si cela signifiait, comme j’ai souvent entendu les officiers l’affirmer dans le sud du Liban, que les soldats sont tenus d’ouvrir le feu avec leurs fusils sur un véhicule qui bat en retraite même si cela signifie qu’ils mettent un de leurs camarades en grave danger. Mais qu’ils doivent s’abstenir de tirer, par exemple, un missile guidé qui tuerait presque sûrement tout le monde à bord du véhicule. Et il m’a répondu : « Exactement ».
Dans le cas de Goldin, cela signifiait davantage. L’armée israélienne, déjà sur le pied de guerre – une différence cruciale par rapport aux cas précédents, comme l’enlèvement de Gilad Shalit en juin 2006 – a un pouvoir immense à portée de main qu’elle peut utiliser rapidement.
Une colonne de tanks est entrée dans les quartiers résidentiels de Rafah, selon Amos Harel et Gili Cohen de Haaretz. Les bulldozers ont démoli des maisons. Les batteries d’artillerie, des tanks et des avions ont ouvert le feu, isolant la zone de l’enlèvement, et auraient ciblé tous les véhicules qui quittaient la zone.
Le nombre de morts a atteint 150, selon les Palestiniens.
L’armée a déterminé tard la nuit suivante que Goldin avait été tué dans l’attaque initiale.
Yehezkel Dror, un membre de la commission d’enquête qui a examiné les lacunes de la deuxième guerre du Liban, a déclaré lundi sur la radio militaire que la procédure Hannibal ne doit pas être activée « instinctivement ».
Il a aussi souligné que les conditions, comme une ville aussi densément peuplée que Rafah, sont tout à fait différentes des conditions dans les collines peu peuplées du sud du Liban et, par conséquent, une autorisation politique aurait dû être nécessaire.
L’Association pour les droits civils en Israël (ACRI) considère la procédure comme étant « illégale » et a exhorté le procureur général de rappeler au gouvernement et à l’armée que de telles actions militaires ne sont pas permises, à la fois en raison de la menace pour le soldat enlevé et à cause du carnage infligé aux civils.
Le conseiller juridique en chef de l’organisation Dan Yakir s’accorde à dire que la mise en œuvre de la procédure Hannibal dans une zone densément peuplée « viole fondamentalement le principe de distinction [entre les objectifs militaires et civils] du droit international humanitaire », et constitue « une méthode de guerre illégale qui viole le droit de la guerre ».
L’autorisation accordée aux soldats de causer un « préjudice à un soldat pour empêcher son enlèvement », écrit Yakir, est illégale.
Amidror a rejeté ces affirmations. « La guerre », affirme-t-il, « est une chose dangereuse ». Les soldats sont tués. On demande aux soldats de se lever et d’attaquer l’ennemi tout en essuyant des tirs, même au prix d’une mort presque certaine. On apprend, par conséquent, aux soldats à faire tout leur possible, avec la seule limite de ne pas tuer intentionnellement un de leurs camarades, afin de déjouer toute tentative d’enlèvement. « C’est une opération militaire pour récupérer un soldat en otage », explique-t-il. « La [vie des] soldats peut être mis[e] en danger ».
La proportionnalité entre la réponse et l’examen du champ de bataille civil, dans le cas d’un enlèvement, a-t-il ajouté, ne doit être prise en compte uniquement si « vous voulez aider l’ennemi ».
Après avoir fustigé l’ACRI qui, selon lui, n’est à l’écoute que des besoins des civils palestiniens, il a admis qu’Israël impose des restrictions concernant le meurtre des civils lors d’actions offensives comme un assassinat, mais a fait valoir qu’il y a « une grande différence » entre cibler un ennemi et sauver un soldat capturé par l’ennemi. Il affirme que dans ce dernier cas, l’utilisation d’une force écrasante est pleinement justifiée. « Comment vont-ils se battre ? », s’ils ne « savent pas que vous ferez tout pour les sauver ».
Si cette préférence pour une mort probable à une captivité certaine semble étrange à l’oreille des civils, elle est, néanmoins, la philosophie qui prévaut au sein des troupes de combat.
Le commandant du 51ème Bataillon Golani s’est exprimé à ce sujet d’une manière extrême lors d’un briefing à ses troupes à la veille de l’invasion terrestre de l’opération Plomb durci au début du mois de janvier 2009. L’enlèvement d’un soldat, a-t-il asséné à ses troupes, est l’arme du « Jour du Jugement » du Hamas.
« Je n’ai pas besoin de vous le dire », déclare-t-il dans un enregistrement audio diffusé lors du journal télévisé de la Dixième chaîne, « mais aucun soldat du 51ème Bataillon ne sera enlevé, et ce à n’importe quel prix et en aucun cas, même si cela signifie qu’il doit faire exploser sa grenade sur quiconque qui tente de le capturer ».
Le député Elazar Stern, lui-même un ancien général qui a épousé la sœur endeuillée d’un soldat de sa compagnie de parachutistes, a écrit sur ​​sa page Facebook dimanche que de nombreuses familles seraient « heureuses » d’apprendre que leurs proches soient détenus en captivité plutôt que tués.
La procédure Hannibal et la force qu’elle déchaîne, a-t-il déclaré dans une interview sur la Dixième chaîne ce week-end, sont un symptôme d’un problème plus large : la « folie » de la société en ce qui concerne les enlèvements.
La volonté de « faire presque n’importe quoi » pour arrêter un enlèvement, a-t-il écrit plus tard, est née d’une compréhension commune qu’un soldat captif entraîne une crise qui prend des proportions nationales.
Des vies seront sauvées des deux côtés de la frontière, et la société israélienne sera plus saine, écrit-il, si « on rétablit le bon sens sur la façon dont nous associons les enlèvements et le prix que nous sommes prêts à payer ».
Les rabbins Ido Rechnitz et Elazar Goldstein ont écrit un livre en 2013 : L’éthique juive militaire. Ils sont en grande partie d’accord avec la position d’Amidror. Ils indiquent que la Halakha [loi juive] autorise à mettre en danger un soldat captif mais n’autorise pas de le tuer intentionnellement. Le suicide et peut-être même le suicide assisté, comme en témoigne la chute du roi Saül, sont justifiés dans certains cas, écrivent-ils, mais l’on « ne peut pas déduire qu’il est permis de nuire [de façon intentionnelle] à un [soldat] captif quand lui-même n’a pas demandé ce type d’assistance ».
Lorsqu’on lui demande si, en tant que Juif pratiquant et officier, il avait consulté le grand rabbin de l’armée en 1986 avant de rédiger la directive secrète à l’époque, Amidror répondit en grommelant, « Êtes-vous fou ? ».
Quand les gens sont malades, explique Amidror, la règle est que les rabbins se basent sur l’expertise d’un médecin. « Dans ce cas, je suis le médecin ».

Source Times of israel