vendredi 5 septembre 2014

Les éliminations ciblées, l’arme de prédilection d’Israël

 

« Israël renoue avec les liquidations ciblées », titrait le Figaro du 21 août dernier. Au risque de contredire nos confrères du quotidien français, leur titre n’est pas précis : Israël n’a jamais vraiment mis un terme à sa politique d’éliminations ciblées de terroristes. La dernière en date remonte seulement au début de l’année 2014, lorsqu’un missile israélien a tué Ahmed Zaanin, terroriste du FPLP responsable des tirs de roquettes sur le Néguev lors de l’enterrement d’Ariel Sharon...



Mais avec l’élimination confirmée de trois des chefs du Hamas à Gaza et la probable liquidation de Muhamad Def, Israël a lancé un message très clair à l’organisation terroriste palestinienne : aucun de vos membres n’est à l’abri.
Dans un de ses discours de propagande, bien au frais dans sa chambre d’hôtel 5 étoiles au Qatar, le chef du Hamas Khaled Mashaal a comparé son organisation à des moustiques qui attaquent un lion (Israël) et parviennent à le battre malgré sa puissance. Avec l’élimination de plusieurs des dirigeants de la branche armée du Hamas durant ces derniers jours, Israël a prouvé que les piqûres de moustiques sont parfois suivies d’une bonne salve d’insecticide.
Muhammad Def a peut-être, ou peut-être pas survécu à la énième tentative de Tsahal de le liquider, mais Mouhamad Abou Chimalla, Raïd El Attar et Mouhamad Barhoum, considérés comme les piliers du Hamas dans le sud de Gaza, ont bel et bien été éliminés dans la nuit de jeudi. Israël peut marquer du V de la victoire cette journée et ce, malgré les fanfaronnades du Hamas, qui sort bien humilié de ces opérations.

Le Hamas, en déroute, crie victoire
Les éliminations ciblées, et plus particulièrement celle des chefs terroristes, ont de nombreuses conséquences sur leurs organisations. Tout d’abord, forcés de se déplacer constamment, leur capacité à gérer ainsi leurs infrastructures et leurs opérations est bien réduite. En effet, en passant d’abri en abri, ils augmentent leur exposition et réduisent leurs manœuvres et leur aptitude à diriger leurs soldats.
En outre, ces opérations ciblées offrent un bonus à Israël sous la forme d’un effet de dissuasion massif et d’un vacuum au sein du leadership terroriste. L’élimination d’Imad Mournieh, le chef d’état-major du Hezbollah, qui ne s’est pas encore vraiment remis de cette perte, en est la preuve.
Concernant Muhamad Def, sa probable élimination équivaudrait à celle d’un chef d’état-major en Israël. Avec lui disparaissent des dizaines d’années d’informations récoltées, de connaissance de « la chose terroriste » et d’expérience.
Autre conséquence positive, pour Israël : la suspicion qui règne désormais au sein des organisations terroristes et qui a conduit le Hamas à tuer cette semaine des dizaines de personnes, soupçonnées d’avoir fourni des informations capitales à Israël ayant conduit Tsahal et les services secrets israéliens jusqu’à ses chefs. Sans compter l’effet désastreux, du point de vue du Hamas, sur le moral des troupes.

L’historique des éliminations ciblées

La liquidation ciblée de terroristes est depuis longtemps l’une des armes de prédilection d’Israël dans sa lutte contre ses ennemis. Pour l’État hébreu, il s’agit d’une stratégie et pas seulement d’une tactique. Des renseignements précis, soit fournis sur place par des indicateurs, soit par la fameuse unité d’espionnage technologique 8 200 ou encore le Shin-Beth ; des méthodes de travail extrêmement bien huilées et un travail d’équipe ; des moyens technologiques hors du commun - récemment, un officier haut gradé de Tsahal nous confiait que l’armée israélienne utilisait des procédés qui semblent tirés tout droit d’un film de science-fiction ; l’utilisation de missiles particulièrement précis ; et aussi, le sang-froid - car il en faut - d’annuler une opération, dès lors que les interrogations qu’elle soulève sont trop nombreuses : tout cela, mis ensemble, offre à Israël un outil redoutable et redouté.
Les premières éliminations ciblées datent de la période qui suit le massacre des sportifs israéliens lors des Jeux olympiques de Munich, en 1972, avec le lancement de l’opération « Colère de D.ieu », qui reçut l’aval du Premier ministre Golda Méïr. Effectuée par le service Action du Mossad, son objectif consistait à éliminer les auteurs directs ou indirects de la prise d’otages et de l’assassinat des sportifs. Les cibles visées par l’opération incluaient les membres du groupe palestinien « Septembre noir » ainsi que des membres de l’OLP impliqués dans le massacre. Colère de D.ieu dura plus de vingt ans.
L’une des plus importantes opérations d’élimination de terroristes date de 1996 lorsque, le vendredi 5 janvier, était tué « l’Ingénieur », Yé’hia Ayache, responsable de la mort de 50 Israéliens. 50 gr d’explosifs, placés dans la batterie de son téléphone portable, ont causé sa mort immédiate. « Yé’hia ? », demandait la voix au bout du fil. « Oui », répondit Ayache, alors que le téléphone était à son oreille, juste avant qu’une onde électronique transmise à l’appareil ne le fasse exploser…
Six ans et demi plus tard, le 23 juillet 2002, une autre pointure du Hamas était éliminée. Cette fois-ci, la frappe fut bien moins chirurgicale puisque c’est un missile d’une tonne qui fut tiré sur l’immeuble où se cachait Sala’h Ch’hadé, chef de la branche armée du Hamas. Avec lui, furent tués 14 Palestiniens, parmi lesquels des enfants, et 100 personnes furent blessées. Cette élimination entraîne un vif débat au sein de la société israélienne (voir encadré).
Mais l’élimination du terroriste le plus haut placé dans la hiérarchie du Hamas fut sans aucun doute celle d’Ahmed Yassine, le chef spirituel et le fondateur de l’organisation terroriste. Yassine a été tué en mars 2004 alors qu’il sortait de la mosquée où il s’était rendu pour la prière du matin.
Un mois plus tard, le 17 avril, son successeur, Abdel Aziz Rantissi, succombait à un missile tiré par un hélicoptère de l’Armée de l’Air israélienne. Rantissi, adepte de la destruction de l’État d’Israël, depuis le Jourdain jusqu’à la mer, était également un négationniste qui affirmait que la Shoah était « un faux sioniste ». Quelques semaines avant son élimination, il avait déclaré : « Entre une crise cardiaque et un hélicoptère Apache, je préfère être tué par un Apache ». Ses vœux ont été exaucés.
Les attaques ciblées contre des terroristes du Hamas, du Djihad islamique, du FPLP et des autres organisations armées se poursuivent ensuite régulièrement, mais ce sont en général des officiers de moindre envergure qui sont visés. Jusqu’au 14 novembre 2012, date à laquelle Ahmed Djabari, le commandant en chef de la branche armée du Hamas, est tué par un missile alors qu’il conduisait sa voiture. Personnellement impliqué dans l’enlèvement et la séquestration du soldat Guilad Shalit, Djabari était l’un des chefs les plus radicaux du mouvement terroriste. Sa liquidation a été suivie de tirs nourris du Hamas sur Israël, puis de l’opération « Pilier de défense ».


Supériorité tactique, mais marasme stratégique

L’élimination des chefs du Hamas la semaine dernière a certes révélé à quel point les renseignements israéliens jouissaient d’une formidable supériorité tactique, mais elle a également mis le focus sur le talon d’Achille de ces services de renseignements : leur incapacité à appréhender le conflit du point de vue stratégique, à long terme.
La mort (présumée) de Muhamad Def et celle, certaine, de Raïd El Attar, sont sans le moindre doute un succès fulgurant pour Tsahal qui prouve, comme l’a affirmé le Premier ministre Binyamin Nétanyaou, qu’aucun terroriste n’était à l’abri de « la longue main de Tsahal ». Mais ces éliminations ont-elles changé quoi que ce soit à la menace qui pèsera sur Israël dans 5, 10, 20 ans ?
Au-delà des succès présents, les services de renseignement parviennent-ils à projeter Israël dans un avenir proche ou lointain ? Se sont-ils libérés de certains a priori erronés sur la réalité moyen-orientale ? Ont-ils pris le pouls des profonds changements qui bouleversent la région et su en tirer les conséquences, à long terme, pour Israël ? Il semble malheureusement que non.
Source Hamodia