jeudi 23 octobre 2014

L’éthique de Tsahal s’enracine dans la tradition biblique hébraïque et l’histoire juive combattante


Non seulement l’opération militaire Roc solide menée l’été dernier par Tsahal à Gaza était parfaitement justifiée parce que l’État d’Israël se trouvait en situation de légitime défense face à un agresseur terroriste voulant frapper ses populations civiles, mais ce fut aussi une « guerre juste » au plan des méthodes de combat israéliennes : alors que le Hamas s’est servi des civils palestiniens comme de « boucliers humains » pour défendre ses stocks de roquettes et de civils, l’armée israélienne a respecté les hauts standards moraux de son Code éthique tout comme les dispositions du Droit international et du Droit de la guerre...



Et ce, en tentant d’éloigner les civils du camp ennemi avant ses attaques et de les séparer des miliciens se dissimulant parmi eux. Mais en quoi le haut héritage moral issu de la tradition biblique hébraïque et les leçons l’histoire juive combattante façonnent-ils encore sur le terrain le comportement des responsables et des soldats de Tsahal (*) ?
Comme c’est le cas pour bien des États de la scène internationale, il ne fait aucun doute que l’ensemble des appréciations stratégiques, des plans et des choix moraux des différents engagements militaires menés par Tsahal sur ordre du pouvoir exécutif israélien sont aussi liés de près à un contexte historique et culturel d’autant plus prégnant, au sein de la nation d’Israël, que l’histoire longue et mouvementée du peuple juif l’a mis sans cesse à rude école pour tout ce qui a trait aux manifestations et conséquences de la violence et de la guerre.


L’héritage éthique de la Bible du Talmud sur la manière de mener la guerre

Nul doute que les « balises socio-culturelles » et fondements spirituels du comportement militaire israélien d’aujourd’hui sont inspirés par des sources bibliques (la Torah écrite) et talmudiques (la Torah orale), qui ont façonné l’héritage éthique du peuple d’Israël et de sa mémoire collective dès les premiers temps de son histoire en tant que nation vivant sur sa terre et disposant d’une armée engagée concrètement dans différents conflits.

Prescriptions bibliques et talmudiques concernant la guerre

Ces préceptes se concentrent dans les cinq Livres du Pentateuque (la Bible hébraïque ou « Torah écrite ») autour de plusieurs ordonnances et commandements très précis édictés, soit pour « encadrer » certains instincts « naturels » de la plupart des soldats qui peuvent se transformer, dans la situation-limite que constitue toute guerre, en penchants destructeurs, et dont les pulsions de domination et de possession abusive connaissent moins de retenue ; soit encore pour renforcer la motivation - et donc la cohésion et la sécurité interne individuelle comme collective  - des troupes combattantes ; soit enfin pour protéger les populations civiles non combattantes présentes sur les différents théâtres d’opérations militaires.
Ensuite considérablement précisées, développées, affinées et commentées dans différents traités de la Loi orale ou Talmud (à savoir par la Michna et la Guémara, puis par les commentateurs classiques - comme Maïmonide qui a écrit un traité entier sur les Lois de la guerre - Hil’hot Mela’him ces prescriptions et références sont avant tout regroupées dans diverses parties de la Bible hébraïque :


-a) D’abord au chapitre IX du Livre de la Genèse, où en partant du verset 6 (« Celui qui verse le sang de l’homme, par l’homme son sang sera versé ; car l’homme a été fait à l’image de D.ieu »).

-b) Puis, dans le Livre des Nombres, le verset 3 définit l’âge précis de la conscription au sein de l’armée des Hébreux : « Depuis l’âge de vingt ans et au-delà, tous les fils d’Israël aptes au service [militaire], vous les classerez selon leurs légions (…) » Un verset fondamental puisqu’à partir de là, le Talmud (Traité Sanhédrin, page 20) énonce une différenciation essentielle entre deux catégories de guerres : la « guerre obligatoire et vitale de défense » (mil’hémet mitsva) que l’instance judiciaire d’alors (le tribunal « constitutionnel » du grand Sanhédrin) autorisait chaque fois automatiquement ; et d’autre part, la « guerre pour motifs territoriaux et/ou économiques (mil’hémet réchout) que le Grand Sanhédrin pouvait parfaitement empêcher en en contestant la validité des motifs, et pour laquelle les autorisations de mobilisation et de conscription étaient bien moins larges (autant de thèmes que Maïmonide développe en détail dans le traité précité des Lois de la guerre).

-c) Mais c’est surtout dans le Deutéronome que les chapitres XX (versets 1 à 9) et XXI (versets 10 à 12, puis 19-20) énoncent les grands principes d’un véritable « droit hébraïque de la guerre » : dispenses de mobilisation de certaines personnes (voire « droit d’objection de conscience ») pour les guerres de type mil’hémet réchout (à l’inverse, pour les guerres vitales, urgentes et « existentielles » de type mil’hémet mitsva, le Talmud précisera que, même en pleine cérémonie de mariage, le jeune époux est sommé de partir au combat - voir Traité talmudique Sota, page 44) ; processus et règles des négociations préalables de paix avec l’ennemi avant tout combat ou siège d’une ville hostile ; limites et obligations imposées par la Torah à l’armée des Hébreux pendant les sièges et les combats eu égard aux populations civiles ; droits spécifiques de la « femme captive », etc.
Pour mieux comprendre de quoi il s’agit, analysons brièvement plus en détail deux de ces dispositions.


Deux obligations capitales en temps de guerre

-a) L’« appel de motivation » du Cohen
Avant toute campagne militaire de mil’hémet réchout, le prêtre (pour la circonstance « préposé aux armées ») doit s’adresser aux troupes rassemblées avant le combat pour lancer un étonnant « appel de motivation » destiné à exempter du service militaire - en les faisant sortir des rangs des gens mobilisés prêts à la guerre - tous les soldats nouvellement fiancés ou mariés, tous ceux qui viennent de faire construire leur maison ou de planter leur vigne, ainsi que tous ceux qui éprouvent déjà une peur irrépressible avant même que ne commencent les combats, une consigne ensuite appliquée par les officiers : « Lorsque tu iras à la guerre contre tes ennemis, et que tu verras des chevaux et des chars, et un peuple plus nombreux que toi, tu ne les craindras point ; car l’Éternel, ton D.ieu, qui t’a fait monter du pays d’Égypte, est avec toi. /À l’approche du combat, le prêtre s’avancera et parlera au peuple. /Il leur dira : ‘Écoute, Israël ! Vous allez aujourd’hui livrer bataille à vos ennemis. Que votre cœur ne se trouble point ; soyez sans crainte, ne vous effrayez pas, ne vous épouvantez pas devant eux. / Car l’Éternel, votre D.ieu, marche avec vous, pour combattre vos ennemis, pour vous sauver. /Les officiers parleront ensuite au peuple et diront : ‘Qui est-ce qui a bâti une maison neuve, et ne s’y est point encore établi ? Qu’il s’en aille et retourne chez lui, de peur qu’il ne meure dans la bataille et qu’un autre ne s’y établisse. /Qui est-ce qui a planté une vigne, et n’en a point encore joui ? Qu’il s’en aille et retourne chez lui, de peur qu’il ne meure dans la bataille et qu’un autre n’en jouisse. / Qui a fiancé une femme et ne l’a point encore prise ? Qu’il s’en aille et retourne chez lui, de peur qu’il ne meure dans la bataille et qu’un autre ne la prenne. /Les officiers continueront à parler au peuple, et diront : ‘Qui est-ce qui a peur et manque de courage ? Qu’il s’en aille et retourne chez lui, afin que ses frères ne se découragent pas comme lui. /Quand les officiers auront achevé de parler au peuple, ils placeront les chefs des troupes à la tête du peuple » (Deutéronome XX, 1-9).


- b) Des obligations protégeant les civils ennemis lors des sièges des villes
Voici les recommandations et interdictions énoncées par la Torah écrite sur l’approche dument négociée devant toujours précéder tout siège des villes ennemies : « Quand tu t’approcheras d’une ville pour l’attaquer, tu lui offriras la paix. /Si elle accepte la paix et t’ouvre ses portes, tout le peuple qui s’y trouvera te sera tributaire et asservi. /Si elle n’accepte pas la paix avec toi et qu’elle veut te faire la guerre, alors tu l’assiégeras », (Deutéronome XX, 10 à 12).
Et les versets de préciser plus loin, cette fois sur la manière même de mener et de gérer ce type de guerre : « Si tu fais un long siège pour t’emparer d’une ville avec laquelle tu es en guerre, tu ne détruiras point les arbres en y portant la hache, tu t’en nourriras et tu ne les abattras point ; car l’arbre des champs est-il un homme pour être assiégé par toi ? /Mais tu pourras détruire et abattre les arbres que tu sauras ne pas être des arbres servant à la nourriture, et en construire des retranchements contre la ville qui te fait la guerre, jusqu’à ce qu’elle succombe » (Deutéronome XX, 19-20).
Une interdiction qui n’est pas tant, comme on pourrait le croire de prime abord, fondamentalement « écologique », que, bien plus largement, protectrice des civils ennemis. Ainsi, les obligations que déduit le Talmud de ces versets, puis celles énoncées par de nombreux anciens décisionnaires (tel Maïmonide dans son « Code des Lois » - Séfer ha-Mitsvot), tout comme par certains commentateurs plus modernes tel le rabbin professeur Chimon Padrevouche, qui a publié en 1973 un ouvrage de référence intitulé « Le droit afférent à la souveraineté » - Michpat Hamelou’ha résumant avec des concepts modernes et de manière claire et concise les différentes règles du droit hébraïque de la guerre) prohibent-elles à l’armée juive de mener une « guerre totale » en appliquant la tactique de la « terre brûlée » : l’armée des Hébreux en campagne doit ainsi se retenir de porter atteinte aux infrastructures-clés et vitales rendant possible la vie quotidienne des civils du camp ennemi (industries alimentaires, eau, infrastructures de base, etc.).
De plus, à propos de la manière de mener un siège contre une ville, l’ouvrage toraïque classique de référence décisionnelle qu’est le « Code des Lois » (Séfer ha-Mitsvot) de Maïmonide datant du XIIe siècle de l’ère commune énonce : « Les sages érudits en Torah remarquent que, parmi leurs ancêtres, quand on assiégeait une ville [donc à l’époque biblique antique-NDLR], on ne l’investissait pas de tous les côtés, mais on laissait un endroit ouvert, afin que ceux qui voudraient se retirer puissent sortir, et qu’ainsi le siège soit moins sanglant ». Une obligation que le rabbin Padrevouche élargit dans l’un des chapitres de son livre intitulé « La conduite de la guerre et les problèmes moraux », en disant que cette obligation de laisser « ouvert » un côté de tout siège militaire concerne de nos jours la nécessité, pour l’armée juive, de tout faire pour éloigner la population civile ennemie des lieux des combats. Ce que Tsahal a fait systématiquement en 2008, en 2012 et 2014 à Gaza, en prévenant par tracts largués du ciel, par appels téléphoniques et par messages « textos » - les habitants des quartiers palestiniens qui allaient être attaqués.


Ce que disent les rabbins contemporains sur le « droit de la guerre »

De manière complémentaire, le rabbin Padrevouche - il n’est pas le seul, tant cette littérature réglementaire (hil’hatique) abonde depuis quatre décennies en Israël ! - a longuement abordé dans ses livres les divers aspects légaux de la guerre et les nombreuses limites incombant à toute armée hébraïque.
En voici une brève énumération, pour n’en citer que certaines « têtes de chapitre » : processus et conditions de la mobilisation générale en temps de guerre ; réquisitions diverses et impôts spéciaux exigés et/ou permis par le pouvoir exécutif (comme ce fut le cas lors de la 1re Guerre du Liban) ; indemnités à verser aux soldats ayant quitté leurs emplois pour défendre le pays ; prescriptions sur la déclaration de guerre ; la conduite des conflits et leurs problèmes moraux face aux combattants et civils ennemis ; la « moralité » en temps de guerre et ses implications dans la suppression de nombreuses obligations toraïques, notamment pendant le Chabbat (protection prioritaire des personnes et des biens, transports autorisés des armes personnelles, réquisitions permises des lieux publics, etc.) ; la protection des vaincus (militaires et civils prisonniers auxquels il est interdit de porter atteinte aux plans moral et physique) ; interdiction pour le peuple d’Israël dans son ensemble de se comporter avec cruauté ou une attitude humiliante envers les vaincus ; prescriptions sur les alliances et traités internationaux ; problèmes liés aux pays neutres et assistance aux populations attaquées (indemnités de guerre dues aux populations ennemies pour dommages non justifiés) ; règles strictes du blocus ; limites imposées au réarmement de l’armée ennemie vaincue, etc.


La problématique de la violence et de la guerre dans l’histoire juive

Dès le début de son histoire en tant que peuple guidé par Moïse - le leader libérateur de l’exil esclavagiste égyptien -, Israël dut affronter d’emblée en plein désert une première guerre ouverte contre la peuplade idéologiquement hostile d’Amalek (Exode XVII, 8-16).
De même à l’époque suivante de Josué, successeur de Moïse et chef spirituel ainsi que militaire de la conquête armée de la terre de Canaan (un terme utilisé par la Bible hébraïque pour désigner la terre d’Israël, car celle-ci était alors occupée par diverses peuplades cananéennes), le pays connut au moins sept années d’affrontements militaires liés à l’installation des Hébreux sur la « terre de la promesse ».
Puis, l’histoire de la présence d’Israël sur sa terre fut jalonnée par de nombreuses guerres et conflits - de nature souvent différente, y compris internes comme lors des guerres ci viles très sanglantes survenues à différents moments par les sicaires puis les zélotes - tant à l’époque des Juges puis à celle de ses rois successifs.
De surcroît, ce peuple a encore connu au moins trois exils majeurs (Babylonie, Perse et Rome-Occident) en dehors de sa terre (sur laquelle, il a en tout résidé près d’un millier d’années à l’ère biblique antique, du moins si l’on additionne les diverses époques séparées de sa présence en Érets Israël), et aussi deux destructions du symbole religieux que constituait le Temple de Jérusalem…
Sans parler des massacres, croisades, persécutions, pogromes, conversions forcées et expulsions violentes qui se sont succédé - essentiellement dans les pays de l’Occident européen - depuis le 2e ‘horban (la seconde destruction du Temple de Jérusalem par le général-empereur romain Titus) qui généra le 3e exil des Juifs hors de leur terre. Et ce, jusqu’au paroxysme de la destruction génocidaire de masse que fut la Shoa, perpétrée contre plus d’un tiers du peuple juif par le régime nazi et ses complices.
Un temps de « catastrophe juive » et de cataclysme mondial pendant lequel, pourtant, de nombreux membres du peuple d’Israël en exil combattirent les armes à la main : dans la Brigade juive de l’armée britannique ; dans les petites unités de volontaires du « Yichouv juif de Palestine » parachutés jusque derrière les lignes allemandes en Europe de l’Est près des ghettos en flammes ; dans tous les réseaux de la Résistance en Europe occidentale et orientale - y compris en Afrique du Nord avec l’épopée, peu connue, mais tout aussi courageuse, de ce groupe anti-vichyssois de quelque 400 Juifs qui s’organisa clandestinement en Algérie pour rendre possible et moins meurtrier le débarquement américain de novembre 1942 ; et bien sûr lors de l‘insurrection désespérée, mais si héroïque, du ghetto de Varsovie et des autres fières révoltes organisées par les déportés les plus motivés, souvent les mains nues, dans plusieurs camps d’extermination nazis.

Or à peine trois années après la fin de la Seconde Guerre mondiale (en 1945) et alors que le retour des Juifs revenant de leurs diasporas respectives vers l’ancien pays des Hébreux avait commencé dès la fin du XIXe siècle (à l’époque du Yichouv), intervint en 1948 la renaissance de l’État juif souverain en terre d’Israël. Laquelle fut accompagnée (déjà depuis novembre 1947) par un premier conflit sanglant contre les milices arabes locales, le jeune État institué par David Ben Gourion se faisant ensuite assaillir, dès sa proclamation en mai 1948 et alors qu’Israël ne possédait quasiment que des fusils et quelques mortiers, par les armées coalisée de l’Égypte, de la Syrie, du Liban, de la Jordanie, de la Lybie, du Maroc et de l’Irak….

Une guerre d’Indépendance qui fut suivie, en plus des nombreuses attaques terroristes arabo-palestiniennes perpétrées à toutes les époques aux frontières et des campagnes d’attentats internationaux contre des avions transportant des Israéliens et des Juifs, par sept autres conflits régionaux majeurs, et deux Intifadas palestiniennes :
- la guerre de Suez en 1956 ; la guerre des Six Jours en 1967 ; la guerre de Kippour en 1973 ; la 1re guerre du Liban en 1982 ; les deux guerres d’Irak de 1991 puis de 2003 ; la 2e guerre du Liban (2006)
- puis deux Intifadas palestiniennes (1987-1991 et 2000-2005) ;
- et aussi trois importantes opérations terrestres de Tsahal à Gaza (décembre 2008, novembre 2012 et juillet 2014).
Soit donc, depuis 1948, plus d’une douzaine de conflits d’intensité variable, et ce, seulement en 66 ans d’existence, soit une moyenne d’un conflit ouvert tous les 5 ans et demi…

L’identité morale d’Israël et « l’unité des valeurs »

L’un des fondements de l’enseignement de Léon Ashkénazi, qui fut à la fois, professeur de philosophie et de Lettres en Algérie, éducateur et rabbin en France, puis enseignant et dirigeant spirituel en Israël, est le suivant : « Il existe une morale juive (…) et c’est celle de ‘l’unité des valeurs’. Dans les autres civilisations, on choisit un idéal moral qu’on privilégie par rapport aux autres ; une valeur particulière est mise en avant : dans l’Occident chrétien, par exemple, c’est la charité, et on renvoie à l’idée de justice dans le futur, alors que, dans le monde socialiste, c’était la valeur de justice collective qui était érigée en absolu et on renvoyait à la vie privée l’idéal de charité personnelle.
La conscience juive, à l’opposé, c’est ‘l’unité absolue des valeurs’ ” (La Parole et l’écrit, Tome 2, p 150). Le rabbin Ashkénazi propose ainsi : « (…) La solution de la Torah est la suivante : chacun reconnaît l’autre comme supérieur et personne n’est inférieur. C’est le principe de ‘réciprocité’ (…) qui vient restituer la justice [attribut du patriarche Isaac, fils d’Abraham-Ndlr] dans la valeur de charité. (…) Comment se fait-il que toutes les grandes traditions religieuses aient, à l’origine, un fondateur, alors que la tradition juive a trois fondateurs : Abraham, Isaac et Jacob ? (…) Il fallait d’abord que l’homme qui représente la vertu de ‘charité’ (Abraham), puis celui qui représente la vertu de ‘rigueur’ (Isaac), pour qu’arrive enfin l’homme qui représente la vertu de ‘vérité’ ou d’unité des valeurs (Jacob, ou Israël). (…) Abraham, Isaac et Jacob représentent trois approches de la conscience morale ” (ibid. pp. 151-152).
Les implications contemporaines de cette « échelle de la conscience morale » sont les suivantes : « Dans l’histoire des patriarches telle que la raconte la Bible, on peut trouver le paradigme de la relation triangulaire entre la chrétienté d’un côté, l’islam de l’autre, et Israël. On assiste en effet à deux grands heurts [entre deux groupes de frères,-NDLR] : le conflit Ismaël-Isaac, et le conflit Esaü-Jacob. Le conflit Ismaël-Isaac porte sur l’‘héritage terrestre’ d’Abraham, c’est-à-dire aujourd’hui la terre d’Israël ou Palestine (comme l’avait nommée les Romains). Alors que le conflit entre Esaü (les sociétés chrétiennes) et Jacob ne porte pas du tout sur la terre, mais sur le ciel, c’est-à-dire ce que j’appellerai l’identité d’Israël.

Historiquement, le christianisme est apparu avant l’islam, et l’antijudaïsme de l’islam a, en fait, des racines très profondes dans ce que l’islam a reçu et intégré de la tradition chrétienne. En d’autres termes, le conflit judéo-arabe est second par rapport au conflit entre la chrétienté et Israël. Ce sont les Chrétiens qui détiennent la clé du conflit entre Israël et l’islam ». (…)
On ne peut donc avoir une idée claire de ce qui se passe au Moyen-Orient qu’au niveau d’une vision métaphysique. Dans le temps où nous vivons, deux événements fondamentaux sont apparus. D’une part, la chrétienté découvre que c’est le peuple juif qui est Israël, et elle est sur la voie de régler son problème avec lui. Mais l’islam refuse encore la légitimité du retour de la diaspora juive en tant que nation hébraïque. (…)
Pour notre conscience morale juive, s’il y a un jour une vraie paix au Moyen-Orient, ce ne pourra être qu’une paix fondée sur la réciprocité. C’est-à-dire que la nation arabe, l’ensemble de la nation arabe, et l’islam derrière elle reconnaissent à Israël le droit à exister sur sa terre. Sinon, il ne peut y avoir que des compromis du genre armistices (…)
Il ne peut y avoir de vraie paix que globale, avec toute la nation arabe. Après, bien sûr, il y aura une négociation politique entre les responsables des États sur la délimitation des frontières. Mais il faut d’abord éliminer l’asymétrie dans la reconnaissance de l’autre, car aujourd’hui, il y a un tel déséquilibre que, tant que ce problème de réciprocité n’est pas résolu, il ne pourra y avoir qu’une illusion de paix, des compromis pragmatiques au jour le jour.
Mais si, un jour, il y a une paix réelle, la paix des cœurs entre musulmans et juifs, entre Arabes et Israéliens, le monde entier sera stupéfait de voir à quel point il y a à proximité des civilisations, et, à ce moment-là, les couleurs des drapeaux ou les limites des cantons ne seront que des questions secondaires » (ibid. pp. 153-154).

(*) Texte extrait de la recherche effectuée par Richard Darmon intitulée « Les dilemmes éthiques de l’armée israélienne dans les conflits asymétriques en zones urbaines à Gaza ».

Par Richard Darmon
Source Hamodia