vendredi 3 octobre 2014

L’homme de l’année : un guerrier malgré lui


Notre homme de l’année 5774 aurait très bien pu être un Arabe. Encore un de ces protagonistes de l’époque terrible dont les remous se font sentir tout autour de nous depuis l’automne 2010. Après Mohamed Bouazizi, l’épicier tunisien dont l’immolation a déclenché le printemps arabe, Mohamed Morsi, l’Egyptien qui personnifiait le virage islamiste de la tourmente et Bachar el-Assad, le Syrien aux premières lignes de la contre-offensive de l’ordre ancien – 5774 aurait pu justifier le choix d’un quatrième Arabe, cette fois lié à l’émergence de l’Etat islamique...



Cette milice zélée, dont l’audace et les conquêtes agitent une grande partie de la planète, est à l’origine du dernier rebondissement dans l’intrigue de plus en plus ténue du soulèvement arabe. La traînée de charniers, de villes désertes, de conversions forcées, de lapidations publiques et de têtes tranchées, laissée par l’EI dans son sillage, est tellement effarante qu’elle fait oublier au reste du monde les exactions du gouvernement syrien à l’encontre de ses propres citoyens, bombardements et gazage compris.

Chou blanc

L’émergence de l’Etat islamique a clairement éclipsé les développements extérieurs au Moyen-Orient en 5774, dont aucun ne peut décidément donner naissance à notre personnalité de l’année.
 Prenez, par exemple, la chancelière allemande Angela Merkel.

Elue cette année pour un troisième mandat, en dépit de l’incapacité politique occidentale à produire des leaders efficaces sortant du lot, elle n’a pas laissé son empreinte sur l’année écoulée, ni eu un impact important sur un quelconque événement mondial – notamment en Ukraine, l’une des scènes de tensions internationales où elle a pourtant eu un rôle à jouer.
Le chef de file du Parti national écossais, Alex Salmond, aurait pu faire un meilleur candidat en dehors du Moyen-Orient. Non pas parce qu’il a mis un terme à ses rêves d’indépendance d’avec la Grande-Bretagne, mais parce qu’il incarne une tendance globale : la quête transcontinentale pour l’autonomie politique, de la Catalogne au Québec, en passant par la Bretagne et le Pays basque. Mais tous les efforts de Salmond ont été vains et il a fait chou blanc, pour bientôt retomber dans les oubliettes de l’histoire.
Le seul qui aurait pu prétendre au titre fort prisé d’homme de l’année, en dehors de la région, est Vladimir Poutine. Chef de file, de facto, de la Russie ces quinze dernières années, il a, cette année, restauré la guerre froide et, avec elle, la suspicion Est-Ouest, en veilleuse depuis l’ère Gorbatchev, il y a deux générations de cela.
 Mais l’influence de Poutine n’a pas dépassé le cadre de sa sphère immédiate, ce qui d’ailleurs ne semble pas faire partie de ses objectifs. Contrairement à l’Etat islamique, dont le leader a clamé haut et fort sa quête en marche sur Rome, Poutine vise simplement à étendre son royaume, sans affecter ce qui se passe à l’extérieur.


Jours redoutables

Notre personnalité de l’année doit donc, une fois de plus, être issue du Moyen-Orient. Une telle conclusion aurait probablement pu déboucher sur le choix du fondateur de l’Etat islamique Abou Bakr al-Baghdadi, de son acolyte tout de noir vêtu, ou de l’une de leurs victimes, étrangère ou locale.
Ce choix, comme lors des trois années précédentes, signifierait que les événements de 5774, au sein de l’Etat hébreu, ont été moins cruciaux que ceux en dehors de ses frontières. C’est pourtant loin d’être le cas. Alors que le son du shofar résonne de la Galilée à Eilat, et que les Israéliens se penchent sur les péripéties de l’année écoulée, toutes nos pensées se tournent vers les 50 jours redoutables au cours desquels 72 de nos concitoyens ont trouvé la mort et plus de 2 000 ont été blessés.
Les sept semaines de conflit endurées par Israël, avec 4 600 roquettes et obus de mortiers tirés sur ses habitants et leurs maisons, ont dominé le paysage israélien avec un tel contraste que même si un événement de taille avait eu lieu à l’étranger, notre homme de l’année devait tout de même être lié à la violence du récent été.
 Comme par le passé, quand le détenteur du titre était un des ennemis d’Israël comme Mahmoud Ahmadinejad (5766), l’auteur d’un attentat-suicide (5761) ou Bachar el-Assad (5773), nous aurions pu choisir cette année un homme du Hamas.

Un tel choix serait cependant problématique, pour deux raisons : d’abord, la direction du Hamas est totalement disparate. Jusqu’à présent, on ne sait toujours pas exactement qui a ordonné les tirs de roquettes qui ont déclenché l’opération Bordure protectrice, à quel titre il a agi et dans quel but, autre que l’espoir de voir les victimes s’accumuler dans les rues d’Israël.
Si le leader du Hamas, Ismail Haniyeh, voit dans la lutte un moyen d’obtenir le financement de son gouvernement au bord de la faillite, d’aucuns pensent qu’il n’envisageait que des salves limitées. Ce serait donc (feu ?) le commandant militaire Mohammed Deif qui aurait ordonné une attaque massive de son propre gré.

Incapables d’influencer l’actualité

Certains affirment pour leur part que le premier va-t-en-guerre n’est autre que le chef du mouvement Khaled Mashaal, qui depuis son refuge doré du Qatar refuse d’approuver le cessez-le-feu, réclamé pourtant à cor et à cri par ceux sur le terrain.
Dans un tel méli-mélo, impossible, donc, de désigner un dirigeant du Hamas plutôt qu’un autre comme personnalité de l’année.
Plus frappant encore, si le Hamas a bel et bien déclenché l’événement le plus marquant de l’année israélienne, il n’a pas décidé de son issue. En lieu et place, le combat lancé par le Mouvement de résistance islamique s’est achevé sans qu’aucun de ses objectifs déclarés n’ait été atteint, mais au contraire, avec la perte de certains de ses atouts stratégiques majeurs.
Le Hamas ne peut pas donc pas accoucher de l’homme de l’année, ni sur le plan technique, ni sur le fond.
 Dans son incapacité à influencer l’actualité, aucun habitant de Gaza ne peut prétendre à ce titre. De loin le héros tragique de cette guerre, la victime de ses propres suffrages, pour avoir porté au pouvoir une direction qui a provoqué une guerre au bilan tragique : 2 200 morts parmi les Gazaouis, 11 000 blessés et au moins 300 000 personnes déplacées.
 Le Gazaoui de base ferait un choix idéal pour la personnalité palestinienne de l’année, mais de ce côté de la frontière, la guerre a été vécue comme une expérience typiquement israélienne. Qui exige à son tour une personnalité israélienne de l’année juive.


Bâtisseurs et figures symboliques

Les Israéliens couronnés au fil des ans dans cette rubrique tombent dans deux catégories : les bâtisseurs et les figures symboliques.
Les bâtisseurs, ceux qui influent sur les événements, vont du Premier ministre Ariel Sharon (5762) au politicien Yossi Beilin (5760) en passant par le chef spirituel du Shas, le rabbin Ovadia Yossef (5759) et le gouverneur de la Banque d’Israël, Stanley Fischer (5769).
 Du côté des symboles, on retiendra Nikolaï Rappaport, soldat et nouvel immigrant tombé au combat (5758) ou le prix Nobel de chimie Ada Yonath (5770).
 Les bâtisseurs, passés maîtres de l’épreuve de force à Gaza, ceux qui ont influencé la réaction d’Israël face aux assauts de ses voisins, sont bien connus.

L’un d’eux est le général de brigade Danny Gold, le père de l’intercepteur de missiles Dôme de fer, qui a fait pression pour sa production massive et a sauvé des centaines, voire des milliers de vies.
 Le reste, ce sont les hommes politiques, comme le Premier ministre Binyamin Netanyahou ou le ministre de la Défense Moshé Yaalon. Ou encore les généraux qui ont évité une invasion massive à l’issue incertaine, et en même temps combattu jusqu’à ce que l’ennemi perde tant de commandants, de troupes et d’armes qu’il a réclamé un cessez-le-feu.


Un chef d’état-major atypique

Chacun de ces bâtisseurs ferait un choix remarquable de la personne de l’année, en raison de son rôle de premier plan dans le déroulement de l’événement principal qui en est au centre. L’un d’eux, cependant, le chef d’état-major de Tsahal le général Benny Gantz se détache du lot. Il incarne en effet aussi l’Israélien qui a su résister aux épreuves de 5774.
 Gantz est d’une part un pur produit du Sud sous le feu des mitrailles : il est né et a grandi dans la communauté agricole de Kfar Ahim, au sud-est d’Ashdod, où ses parents, survivants hongrois de la Shoah, se sont établis dès leur arrivée.
 Mais par-dessus tout, Gantz n’est pas le chef d’état-major typique auquel Tsahal nous a habitués. Malgré son éloquence, sa haute taille et ses yeux bleus, c’est en effet un antihéros à la pâle figure.
 On ne verra jamais Gantz embrasser ou gifler un soldat façon George Patton, ou désobéir aux ordres façon Ariel Sharon, ou dénigrer l’ennemi façon Moshé Dayan.

Le parachutiste, qui a passé des années à la tête d’unités différentes au Liban et en Judée-Samarie, obtient le commandement des forces terrestres et le commandement du Nord. Le plus haut poste de l’armée israélienne lui échappe cependant, par manque d’originalité et d’audace.
Ce n’est qu’après la brusque annulation de la nomination du général de division Yoav Galant, pourtant entérinée par le gouvernement, que Gantz, réticent, est appelé pour combler le vide.
 Autrement dit, l’homme à la tête des violents combats menés par l’armée israélienne l’été dernier est, dans ce cas précis, un guerrier malgré lui.


Le militaire avide de paix

Comme nous tous, Benny Gantz incarne l’entrée en guerre de la population en dépit d’elle-même, et sa détermination à la mener à bien jusqu’à la victoire – même en l’absence d’opérations de commando rocambolesques ou de stratagèmes napoléoniens. Le déploiement d’artillerie, de blindés et de force aérienne mené par Gantz, le tout mâtiné d’incursions d’infanterie et de bombardements navals, peut a priori sembler manquer d’originalité et d’imagination, mais sous sa direction sans prétention Tsahal est arrivée sur le champ de bataille bien équipée, bien entraînée, hypermotivée et têtue comme une mule. Un général plus haut en couleurs aurait peut-être suscité plus d’enthousiasme de la part du public, mais ne serait sans doute pas parvenu à un meilleur résultat.
Gantz a été critiqué, à juste titre, pour son appel prématuré aux habitants du Sud à regagner leurs foyers le long de la frontière de Gaza, au cours de ce qui est apparu rapidement comme un cessez-le-feu de courte durée. Cependant, lorsqu’il affirme ce jour-là : « l’automne arrivera bientôt, la pluie lavera la poussière des tanks, les champs vont bientôt reverdir et le Sud se couvrira de rouge, au sens positif du terme, celui des anémones et de la stabilité, pour les nombreuses années à venir », le chef d’état-major apparaît comme un guerrier pragmatique, dont la soif de paix dépasse largement son enthousiasme pour la guerre.
Et c’est la raison pour laquelle nous l’avons élu personnalité de l’année 5774.

Source JerusalemPost