dimanche 5 octobre 2014

Yom Kippour juif contre Yom Kippour israélien

 
En Israël, il existe en fait deux types de Grand Pardon ; le Grand Pardon juif et l’israélien. Ils débutent tous deux le même jour, sacrés et emprunts d’un lourd sentiment de tristesse. Et bien qu’ils se chevauchent, ils diffèrent radicalement l’un de l’autre. Non seulement ils sont différents, mais ils sont rivaux. Le Grand Pardon israélien contre le Grand Pardon juif...
 


De quoi s’agit-il exactement ? Le Grand Pardon juif est un jour sacré, dédié à l’individu. Une journée de réflexion, d'engagement et d'efforts sincères pour changer.
Au cours de cette journée, le croyant se concentre sur ses faiblesses, réfléchit aux erreurs commises et à la manière de les corriger à l’avenir. Les étapes de cette journée sont partagées entre la relation de l’homme avec soi, son entourage et son Créateur. Durant cette fête, l’homme voyage dans sa conscience et dans son inconscience afin de se libérer de toutes ses faiblesses, réparer ses erreurs et se renouveler en vue du prochain chapitre de sa vie. À bien des égards, c'est le jour le plus saint du judaïsme.
Cependant, durant les quarante dernières années, la conscience israélienne a pris une tournure totalement différente. Tous les médias ainsi que les autres réseaux de communication ont changé radicalement depuis la guerre de Kippour en octobre 1973. Les débordements commencent de longues semaines avant le jour saint. Le souvenir des combats. Des profils de combattants tués, des analyses rabâchées jusqu’à n’en plus pouvoir, des “révélations” stupéfiantes et des enregistrements égarés.
Il n'y avait plus de fin à la créativité des journalistes. Tout est “kasher” et tous les moyens légitimes sont bons pour ranimer cette guerre qui s’éloigne. Pourquoi? Qu’y avait-il de spécial cet été-là ? A mon avis, l’exagération du souvenir de la guerre d’octobre 1973 répond à un objectif de conscience beaucoup plus profond que la guerre elle-même.
Je pense que beaucoup d'intellectuels, de faiseurs d'opinion et de personnalités publiques ont pris le contrôle de la guerre de Kippour comme dernier moyen de défense d’une “israélianité” qui n’existe plus. Ce fut la dernière bataille de la vieille “israélianité laïque” dans sa lutte contre la “judéité” qui l’a expulsée du pouvoir, démunie de son influence et de son statut élitiste, en partie à cause des résultats de la guerre et du traumatisme national qui en est résulté.
La ligne de faille a été le terrible automne 1973. Il est nécessaire de se remémorer quelques étapes dans l’Histoire d’Israël.
Israël est né en 1948. Ses fondateurs ont pêché par arrogance face à leurs voisins arabes et à l’égard de chaque responsable israélien qui ne faisait pas partie du mythe pionnier d’Israël, du combat et de laïcité. Cette “israélianité” a atteint son sommet en 1967. Le record de toutes les possibilités et de toute l’arrogance israélienne. Les années suivantes furent d’une impertinence insupportable. Un ballon bien trop gonflé. A l’automne 1973, les Egyptiens et les Syriens se sont munis d’une aiguille et ont tout fait exploser. Un grand désespoir a submergé l’”israélianité” en raison de l’humiliation sur les champs de bataille, un sentiment de dévastation, voire pratiquement de chaos.
A l’inverse de l’”israélianité” originelle, de jeunes sionistes religieux se sont regroupés, et ont proposé à Israël une perspective de renouveau sioniste et d’espérance nationale : le Grand Israël.
Le contenu et les valeurs qui servaient à peine de “second violon” au sein de l’orchestre israélien, ont pris position sur le devant de la scène, expulsant les anciens musiciens du parti Travailiste, les fondateurs du foyer national israélien.
En réponse au désespoir israélien croissant qui est apparu avec la guerre, le projet juif et beaucoup plus religieux a fait son apparition.Il a expulsé le projet israélien et démocrate pour laisser place au schéma juif et messianique. L’Israël de 1948 a été fondé en tant qu’Etat laïc et socialiste et, avec la guerre de Kippour, s’est transformé en ce qu’il est aujourd’hui : une société religieuse, nationaliste et capitaliste. La ténacité des rédacteurs de presse et des faiseurs d’opinion durant cette guerre, de cette sainte journée, est en fait leur dernier moyen de s’accrocher à leur identité.
Il m’est très difficile de prédire quel sera l’avenir de l’ “israélianité”, progressive ou régressive, laïque ou religieuse, sensible ou cupide, mais il y a une chose sur laquelle je n’ai aucun doute, c’est sur le futur du Yom Kippour. Le Grand Pardon juif rejettera le Grand Pardon israélien, notamment du fait qu’aucune journée du calendrier hébraïque ne commémore les guerres passées. Aucune fête ne marque la conquête d’Israël par Josué, ni même la libération de Jérusalem par David. Même Hanoukka ne commémore pas la guerre contre les Grecs qui doit être la fête de la purification du Temple juif par ses pêcheurs.
Par conséquent, une question évidente se pose: quand donc apparaîtra le journaliste courageux qui cessera d’évoquer cette guerre-là, dont tous les sujets ont été épuisés, et se penchera-t-il sur de nouveaux contenus bien profonds, en ce jour où tous ceux qui ont échoué la première fois sollicitent une seconde chance.
Avraham (Avrum) Burg a présidé la 15ème Knesset (Parlement) d’Israël, a tenu la fonction de président de l’Agence juive, et est aussi écrivain et membre du Forum pour le dialogue international "Bruno Kreisky Forum" à Vienne.
Source I24News