vendredi 28 novembre 2014

« L’alya massive de France s’inscrit dans le processus de la Délivrance messianique »


Trois ans après avoir terminé sa mission de délégué général de l’Agence Juive en France, Daniel Benaïm a été désigné par les dirigeants de l’Institution sioniste pour reprendre ce poste et gérer l’alya de France à une période particulièrement passionnante de son histoire alors que le flux des olim ne cesse de grossir. En exclusivité, il nous explique les caractéristiques de cette vague d’immigration sans précédent et les moyens dont il dispose pour l’encourager et la canaliser...Interview...

 
- Hamodia : Qu’est-ce qui a changé au sein de la Communauté juive en France depuis que vous avez terminé votre précédente mission, il y a un peu plus de trois ans ?
- Daniel Benaïm : Ce qui a changé, c’est que le nombre d’olim a été multiplié par trois ! Lors de la dernière année de ma précédente mission, nous avions recensé environ 1 900 nouveaux immigrants, alors que d’ici la fin de l’année 2014, nous devrions dépasser le chiffre record de 6 500 olim ! Et ce qui a changé, c’est qu’aujourd’hui l’alya touche l’ensemble de la communauté et non plus telle ou telle couche sociale. On croise des candidats à l’alya partout : à la synagogue bien sûr, mais aussi au restaurant, au supermarché casher, etc. C’est devenu un phénomène d’ensemble. Ce qui a également beaucoup changé, c’est le sentiment des Juifs de France et leur bien-être. Aujourd’hui, on perçoit très nettement un malaise ou un mal-être chez de très nombreux Juifs de France essentiellement pour des raisons économique et sécuritaire. Cela n’existait pas en 2011.


- Est-ce que l’insécurité ambiante depuis la tuerie de Toulouse et depuis les émeutes de juillet est la cause prédominante de l’augmentation de l’alya ou seulement un catalyseur dans la décision de monter en Israël ?
- Difficile de mettre en exergue la cause majeure de l’alya. Certains monteront pour des raisons purement idéologiques, d’autres pour fuir la résurgence de l’antisémitisme. Mais souvent cet antisémitisme n’est qu’un catalyseur qui accélère la prise de décision. Il y a, parmi les candidats à l’alya, un pourcentage de plus en plus important de jeunes célibataires ou jeunes couples. Certains d’entre eux n’auraient pas, dans l’absolu, envisagé une alya, mais face à la crise économique en France, ils considèrent qu’Israël est un pays d’avenir, dynamique, et sont séduits par cette « start up nation ». Là-dessus se greffent d’autres paramètres comme l’éducation des enfants, etc.


- Pensez-vous que ces données impressionnantes d’alya sont directement liées à ce qui s’est passé l’été dernier à Paris et Sarcelles ?
- Lorsque nous sommes en temps de crise, nous avons un indicateur immédiat : le nombre de coups de téléphone que nous recevons sur notre plateforme téléphonique grimpe de manière impressionnante. C’est ce qui s’est passé au cours des deux semaines de juillet qui ont suivi les manifestations violemment anti-israéliennes, cette année. Second indicateur : le nombre d’inscriptions à nos soirées d’informations. Là encore, il grimpe très rapidement en période sensible. Mais attention cela ne signifie pas que ces personnes vont décider du jour au lendemain de faire leur alya. Cela dépend souvent de la composition familiale. Les couples les plus jeunes, qui sont de plus en plus nombreux, auront plus de facilité à programmer leur alya que des retraités ou des familles avec des enfants scolarisés. D’ailleurs nous encourageons ces derniers à planifier leur alya sur un an au moins, afin que celle-ci ait plus de chance d’être réussie et que leur intégration se fasse plus facilement.


- Cette augmentation de l’alya a été prise très au sérieux par le gouvernement israélien qui a initié un vaste programme d’encouragement à l’immigration de France visant également à faciliter l’intégration des olim. Quel est le rôle de l’Agence Juive dans ce programme et qui finance toute l’activité en France ?
- L’Agence juive a augmenté ses budgets sur la France en particulier au niveau des infrastructures. En plus de cela, le ministère de l’alya et de l’intégration a débloqué un budget très substantiel pour les années 2014 - 2015. Ce budget va nous mettre de multiplier les activités sur le terrain comme les salons itinérants, d’ouvrir des permanences supplémentaires, de consolider les équipes, etc. Cela est donc budgétisé par le gouvernement et mis en place conjointement par le ministère de l’alya et de l’Intégration et l’Agence Juive. C’est ainsi que le 23 novembre prochain, des équipes conjointes vont se rendre dans plusieurs villes de la région parisienne pour participer à des salons qui apporteront un maximum d’informations afin que les candidats puissent se préparer de la meilleure manière. De facto, on peut dire que le personnel de l’Agence Juive en France épaulé par les équipes de spécialistes venues ponctuellement d’Israël a plus que doublé en trois ans !


- Vous disiez que l’alya est aujourd’hui une idée qui concerne l’ensemble de la communauté. Toutefois, les besoins des candidats à l’alya sont divers. Ceux des candidats ‘harédim ne seront pas les mêmes, par exemple que ceux des étudiants ou des familles très nécessiteuses. Est-ce que vous avez aujourd’hui la possibilité de cibler ces publics afin de leur offrir un service en fonction de leurs besoins spécifiques ?
- C’est effectivement l’un de nos défis. Nous essayons de voir comment apporter au public ‘harédi des réponses aux questions qu’il se pose et qui lui sont bien spécifiques. Je pense que d’ici le mois de janvier prochain, nous aurons des réponses concrètes à apporter à ce public. Mais il est important de préciser que pour les jeunes orthodoxes français, il existe déjà des programmes Massa qui fonctionnent très bien et permettent à ces jeunes d’étudier dans des yéchivot comme Beth Halévy, Aish Hatorah ou à la Midréchet Ofakim. Pour ce qui est des familles juives nécessiteuses de France, il s’agit là d’un véritable problème, car il est impossible de leur offrir par exemple une couverture sociale privilégiée par rapport aux familles nécessiteuses israéliennes. Mais pour les plus jeunes, nous préparons un programme pour les jeunes juifs de France qui n’ont pas le bac. Et c’est la preuve que nous avons une demande importante.


- On a eu le sentiment qu’au cours des dernières années, l’Agence Juive avait abandonné l’étendard de l’Alya au profit de celui du renforcement de l’identité juive. Or maintenant, les Juifs de France montent massivement et soudain l’Agence juive reprend cet étendard de l’alya. Comment expliquez-vous ce phénomène ?- Je ne vois pas la réalité comme cela. Mais il est possible qu’il y ait eu des problèmes de communication. Il y a 4 ans, les responsables de l’Agence Juive sont parvenus à la conclusion qu’il n’y avait plus d’alya de détresse et que la priorité devait être désormais les pays occidentaux. Ils ont constaté que l’alya provenait surtout des cercles les plus proches des communautés juives de ces pays. Et ils sont parvenus à la conclusion qu’il fallait aborder l’alya avec une approche nouvelle, à savoir que le renforcement de l’identité juive en particulier dans les écoles, conduiraient certains jeunes à se rapprocher de la communauté et finalement à monter vers Israël. J’admets que ce schéma était surtout valable pour les États-Unis et peut-être moins pour la France. On peut dire qu’aujourd’hui, l’alya reste la priorité de l’Agence Juive en particulier en France, mais parallèlement, le renforcement de l’Identité juive demeure aussi pour nous un défi majeur. Et l’un ne se fait pas au détriment de l’autre.

- Dernière question : lorsque vous voyez ces masses d’olim de France, avez-vous le sentiment en tant que délégué de l’Agence Juive de vivre une période hors du commun, presque historique ?
- Je vais vous faire une confidence : jamais je n’aurais imaginé repartir en France comme délégué général, trois ans après avoir terminé ma mission. Mais j’ai eu le sentiment que nous étions en train de vivre des instants privilégiés, effectivement historiques, pour la communauté juive, pour le peuple juif, et pour l’État d’Israël. J’ai voulu participer à cette aventure. En tant que Juif croyant et pratiquant, je suis persuadé que ce qui se passe avec l’alya de France s’inscrit dans le processus de la Délivrance messianique.


Source Hamodia