mercredi 17 décembre 2014

Hanouka : ce que les Maccabées ont voulu préserver


L’histoire de Hanouka renvoie aux enjeux profonds de la rencontre de deux civilisations : la judaïque et l’hellénique, Jérusalem et Athènes. Rencontre faite d’échanges et d’interpénétrations, mais aussi de conflits. Dans l’histoire de ces conflits, Hanouka marque spécifiquement la volonté des juifs d’assumer une souveraineté religieuse et politique sur leur terre pour l’une des dernières fois avant le grand exil qui accompagne la destruction du deuxième Temple...


Et ce, à l’inverse des juifs de la Diaspora de l’époque qui, sans remettre en question l’unité fondamentale du peuple juif, allaient développer des tendances plus marquées à l’universalisme. Dans ce violent conflit avec l’hellénisme, les juifs manifestent une réaction spécifiquement nationale qui aboutit à la restauration d’une entité juive.
Il convient d’y voir aussi l’expression d’une divergence profonde entre la pensée grecque et le judaïsme sur de multiples notions, telles par exemple celles de patrie et d’exil.
Dans l’Odyssée d’Homère se déploie à cet égard toute une vision de l’existence. Le héros Ulysse quitte sa terre natale, entreprend un périple de nature presqu’infinie, puis revient.
   Ulysse est avant tout celui qui fait un long voyage, au terme duquel il « est retourné, plein d’usage et de raison, vivre entre ses parents le reste de son âge ». Ulysse a donc voyagé en circuit fermé, il a connu un heureux retour, car il était impatiemment attendu par celle qui n’avait jamais désespéré de le revoir. Rien n’est d’ailleurs plus significatif que la conduite de Pénélope : elle défait la nuit le tissage auquel elle a travaillé le jour et parvient pour ainsi dire à suspendre le temps.
Un tel épisode s’inscrit dans la vision grecque de l’univers selon laquelle le monde est clos et la finitude synonyme de perfection. Le voyageur revient à son point de départ plein de sagesse, instruit par la visite des contrées qu’il a parcourues et par les rencontres qu’il a faites. Les aventures d’Ulysse furent donc autant d’apprentissages et, puisqu’il  sillonna l’espace du monde et triompha des obstacles les plus divers, il put retourner chez lui comme un homme comblé.
« Le juif sur sa terre garde en mémoire la condition de l’étranger et de l’exilé. »
Une telle expérience de l’exil et du retour dans la patrie diffère profondément de l’idée que nombre de Sages d’Israël se font de la diaspora et du retour sur la Terre Promise.
L’éparpillement du peuple juif à la surface de la terre constitue une troublante image de la condition humaine tout entière, car la diaspora n’est pas seulement la diaspora des juifs à travers le monde ;  elle est l’image même de la condition des hommes qui sont séparés les uns des autres et qui ressemblent à ces archipels, témoins d’un continent profond mais disparu.
Il y a par ailleurs pour le Talmud un incessant aller-retour entre les notions de patrie et d’exil, une nécessaire dialectique entre l’inscription sur une terre, fût-ce sa propre terre, et une mémoire toujours vigilante à l’égard de la condition d’étranger, d’exilé.
La pensée juive, tout en maintenant un lien indissociable entre le peuple juif et la Terre Israël comme constitutifs ensemble,  avec la Torah, de l’identité d’Israël, veut introduire un tiers garant, l’exil. Car existe toujours le risque d’un lien trop exclusif aux valeurs du sang et du sol, risque s’accompagnant immanquablement d’intolérance à l’étranger, quand ce n’est pas davantage.
 En ce sens, la pensée rabbinique a fait de l’exil des juifs et de leur dispersion, au-delà d’une expérience historique perçue comme nécessairement transitoire et limitée, une catégorie presque métaphysique.

Le juif dans l’exil ne renonce jamais au retour à la terre constitutive de son identité. Le juif sur sa terre garde en mémoire la condition de l’étranger et de l’exilé. Le génie  du Talmud est de souligner le paradoxe que l’on peut être profondément « exilé » sans jamais quitter le sol natal, qui plus est la Terre d’Israël.
Pour redoubler de vigilance dans la responsabilité à l’égard de l’étranger. Mais au cœur de cette dialectique de la patrie et de l’exil, il y a la Terre d’Israël dans sa centralité et sa réalité.
C’est aussi cela que les Maccabées ont voulu préserver et pérenniser.

Par le Grand Rabbin Gilles Bernheim

Source Actualite Juive