vendredi 12 décembre 2014

Peu d’espoir pour Pollard


L’agent israélien Jonathan Pollard, qui purge une peine de prison à vie pour transmission de renseignements confidentiels à un pays allié, entame sa 30e année de détention. Et il vient d’apprendre qu’une nouvelle fenêtre d’espoir vers une liberté longtemps attendue vient de lui être fermée au nez...

Ce n’est pas la première fois qu’une porte est ainsi claquée devant lui : il en a fait l’expérience amère le 21 novembre 1985, lorsqu’on lui a refusé l’accès à l’ambassade d’Israël à Washington. Un instant plus tard, il se retrouvait aux mains des autorités américaines.
Autre anniversaire important ces jours-ci : il y a tout juste 19 ans, après dix années passés derrière les barreaux, Pollard devenait éligible pour une liberté conditionnelle… et décidait d’y renoncer, précisément parce que cette liberté ne serait que conditionnelle. Il suivait aussi en cela l’avis de ses avocats, convaincus qu’il n’aurait de toute façon aucune chance d’être entendu.
C’est sur une demande de grâce présidentielle que Pollard préférait se concentrer, décision qui en a étonné plus d’un.
A tous les hommes d’Etat qui se sont succédé à la présidence des Etats-Unis, il a systématiquement demandé que l’on commue sa sentence à perpétuité en une peine équivalant au temps qu’il avait déjà passé en prison.
 Année après année, il s’est heurté à l’échec. Désormais, si l’on en croit des documents et des informations révélées en exclusivité au Jerusalem Post, il reconsidère sa stratégie.

En décembre 2013, Pollard finit par demander sa mise en liberté conditionnelle. Celui qui l’a convaincu de le faire n’est autre que l’homme qui tient son sort entre ses mains : le président américain Barack Obama.
Les déclarations faites par ce dernier au cours de sa visite officielle en Israël en mars 2013 ne laissent aucun doute sur l’approche que doit adopter Pollard : Obama fait voler en éclats l’espoir d’une grâce présidentielle, mais laisse entendre qu’une requête de mise en liberté conditionnelle sera traitée avec la même attention que celle de n’importe quel autre détenu.
« Je ne prévois pas de faire libérer Jonathan Pollard dans l’immédiat », déclare-t-il à la présentatrice Yonit Levi, de la deuxième chaîne de télévision, « mais ce que je vais faire, c’est m’assurer que son dossier sera examiné avec le même souci de justice que pour tout autre Américain condamné par le passé. »
Obama ajoute qu’en tant que président, il a l’obligation de faire appliquer les lois de son pays et de s’assurer qu’elles le sont de façon systématique, « pour être sûr que chaque individu est traité justement et équitablement ».

Shimon Peres, la carte joker

C’est l’opportunité qu’attendait Pollard. Car celui-ci a précisément l’impression de ne pas avoir été traité « justement et équitablement » tout au long de ces années : et voilà que, devant tout le peuple israélien, à la télévision et à une heure de grande écoute, le président américain sous-entend, voir promet, selon sa propre interprétation, qu’il va réparer cette injustice.
L’audition de Pollard pour la mise en liberté conditionnelle était prévue le 1er avril, mais une autre opportunité se présente alors pour lui, du type qu’il a toujours pris soin de rejeter jusque-là.
Obama se montre prêt à commuer la sentence de Pollard. Ce serait une main tendue à Israël en échange de la libération de prisonniers arabes israéliens dans le cadre du processus diplomatique engagé par les Etats-Unis avec les Palestiniens. Une initiative qui aurait bien pu permettre à l’espion israélien de passer le seder de Pessah chez lui, si elle n’avait pas capoté au dernier moment…
Afin que l’audience ne soit pas reliée à un quelconque accord pour la libération des terroristes, Pollard fait annuler l’audience du 1er avril. Et refait une demande en voyant que les négociations entre Etats ont fait chou blanc. La nouvelle date est fixée au 1er juillet.
L’équipe qui travaille à sa libération n’a que peu de temps pour faire en sorte que tout se passe bien à l’audience. Pour mettre toutes les chances de son côté, elle fait alors appel à l’Israélien le plus respecté aux Etats-Unis, sans doute le seul à entretenir des relations d’amitié avec Obama : l’ancien président Shimon Peres.
Le rôle de Peres dans cette affaire est plus que symbolique, puisqu’il était Premier ministre d’Israël au moment de l’arrestation de Pollard. A l’époque, il n’a transmis aucune consigne au personnel de l’ambassade, n’a pas donné l’instruction de le laisser entrer et est même allé jusqu’à livrer aux Américains des documents portant les empreintes digitales de Pollard, preuve accablante contre ce dernier.
Aux yeux de nombreux Israéliens, l’incarcération prolongée de Pollard représente donc pour Shimon Peres une tache indélébile sur des années de service public, une tache qu’aucune des médailles que le président s’est récemment vu décerner à Washington n’a encore pu effacer.

Pas besoin de se salir les mains

Les deux présidents devaient se rencontrer le 25 juin à Washington, à l’occasion de la dernière tournée de Peres en tant que président. C’était six jours avant l’audience de Pollard. Peres avait promis au peuple d’Israël d’agir en faveur de l’espion et les avocats pro bono de l’agent américain l’y avaient méticuleusement préparé.
Eliot Lauer et Jacques Semmelman, deux avocats new-yorkais très respectés qui représentent gratuitement Pollard depuis 15 ans, ont longuement rencontré les assistants de Peres pour leur expliquer en détail comment fonctionne le système américain de mise en liberté conditionnelle. Maître Lauer a ensuite revu ces informations avec Shimon Peres au Willard Hotel de Washington juste avant la rencontre avec Obama.
Le message de Peres à Obama était le suivant : vous n’êtes pas obligé d’accorder votre grâce.
En fait, vous pouvez prendre vos distances avec cette affaire. En revanche, il serait bon que vous indiquiez en privé au ministère de la Justice que vous ne vous opposerez pas à une mise en liberté conditionnelle de Pollard et à une autorisation qui lui serait donnée d’aller en Israël.
Obama n’a donc pas besoin de se salir les mains. Il lui suffit de tenir la promesse faite aux Israéliens 15 mois plus tôt et de laisser l’audience se dérouler normalement sur la base du dossier.
A la suite de la réunion, le conseiller diplomatique de Peres Nadav Tamir annonce la bonne nouvelle aux avocats : le message a bien été transmis.
Le bureau de Peres révèle en outre à la presse que le président Obama a personnellement parlé de l’affaire à son garde des Sceaux et proche confident Eric Holder, président du département américain de la Justice et responsable en chef de l’application de la loi au sein du gouvernement américain.
« La nation tout entière a à cœur de voir Pollard libéré, et je suis l’émissaire de la nation », déclare Peres à la presse après la rencontre. « Je ne me considère pas comme étant simplement « Shimon » : je sais que je suis le représentant de l’Etat d’Israël et que je parle au nom de son peuple. »
Il n’en ajoute pas moins à ces propos une mise en garde quelque peu décourageante : « Après la fin de mon mandat présidentiel, il faudra continuer à œuvrer pour la libération de Pollard. »
 Pollard et ses avocats s’accrochent à l’espoir que le salut est pour bientôt et que les bons offices de Peres porteront leurs fruits.


Un « tribunal de pacotille »

Le lendemain de la rencontre, Lauer et Semmelman déposent un recours supplémentaire devant la commission de mise en liberté provisoire. Dans ce document, ils stipulent que Pollard a été un prisonnier modèle et qu’il possède la meilleure note possible en matière de potentiel de récidive – une mesure qu’utilise la commission pour évaluer les chances que le prisonnier fédéral, une fois libéré, commette de nouveaux délits, facteur principal dans l’étude des dossiers de libération conditionnelle.
Le document révèle qu’un appartement a été loué à New York pour accueillir Pollard et qu’un poste d’analyste financier attend celui-ci dans une société d’investissements.
« Prolonger son incarcération ne sera d’aucune utilité, puisqu’il a déjà été sévèrement puni », écrivent les avocats. « La commission doit à présent fixer une date de libération conditionnelle précise, afin que M. Pollard puisse recouvrer la liberté le plus rapidement possible. »
Lauer s’envole pour Butner, en Caroline du Nord, où est détenu Pollard, afin de suivre l’audience. Jay Bratt, vice-directeur de la section de sécurité nationale du bureau du ministre de la Justice des Etats-Unis, participe à la séance par vidéoconférence depuis Washington.
Lorsqu’il pénètre dans la salle, Pollard est encore sceptique, mais s’autorise l’optimisme. Pourtant, tous ses espoirs de bénéficier d’un procès équitable s’évanouissent d’emblée. Les représentants de l’Etat lui parlent de façon menaçante, le traitent avec mépris, empêchent Lauer de s’exprimer comme il le voudrait et font clairement comprendre que l’agent israélien n’est pas près de revoir l’Etat juif, si tant est qu’il le revoie un jour. Le public présent parlera de « tribunal de pacotille », et même de « lynchage ».

Agé et malade

La lettre de rejet adressée en août à Pollard par la commission est plutôt sèche : « L’ampleur et la portée des informations confidentielles que vous avez vendues aux Israéliens constituent la plus importante mise en péril de la sécurité américaine à ce jour. Vous avez transmis des milliers de documents top-secret à des agents israéliens, ce qui a posé une réelle menace pour les relations entre les Etats-Unis et les pays arabes du Moyen-Orient. »
 Sans Pollard, ajoute la commission, les Etats-Unis auraient pu obtenir d’Israël des informations en échange de celles que l’agent a livrées. « Vous accorder la liberté conditionnelle aujourd’hui reviendrait à minimiser la gravité de l’offense et à promouvoir l’irrespect de la loi », conclut la lettre.

La commission précise par ailleurs qu’avant le trentième anniversaire de l’incarcération de Pollard, en février 2015, le dossier sera de nouveau étudié et qu’une autre audience de libération conditionnelle sera organisée cinq mois plus tard.
 Toutefois, à la question de savoir si le gouvernement s’opposerait de nouveau à la libération conditionnelle de Pollard en juillet 2015, un responsable de la commission répond : « Tout à fait, et vigoureusement ! » Autant dire que l’audience ne s’annonce guère différente de la précédente…

Si la liberté conditionnelle lui est refusée en juillet, précise aussi la lettre, Pollard devra purger sa peine de prison à perpétuité jusqu’au bout, c’est-à-dire, conformément à la loi en vigueur à l’époque de son procès, jusqu’en 2030, soit après 45 années d’incarcération.
Aujourd’hui, Pollard a 60 ans et il souffre de nombreuses maladies chroniques. Il a été hospitalisé à plusieurs reprises ces derniers temps sans que les médias en soient informés et il est peu probable qu’il vive encore aussi longtemps.
La tournure qu’a prise son audience a beaucoup troublé ses avocats.
Jusqu’à présent, l’équipe travaillant sur sa libération cachait à escient le processus de demande de libération conditionnelle à la presse et au public. « J’ai été très déçu », déclare à présent Lauer dans une interview dans son bureau de Manhattan, « parce que je pensais qu’après la rencontre Obama-Peres, le gouvernement adopterait une approche plus judicieuse et plus juste de l’affaire. Il n’y a rien qui puisse justifier les déclarations incendiaires sur l’importance des nuisances causées aux Etats-Unis par Pollard. »
 
L’optimisme n’est plus de mise

Le mois dernier, Lauer et Semmelman ont déposé un appel et, à l’heure où paraît cet article, ils n’ont pas reçu de réponse. Toutefois, l’optimisme n’est plus de mise dans l’équipe de Pollard : personne ne croit plus guère à la possibilité d’une mise en liberté provisoire.
L’appel repose sur le fait que la commission a refusé la mise en liberté conditionnelle de Pollard sur la base d’un mémorandum top-secret de 1987 rédigé par le ministre de la Défense d’alors, Caspar Weinberger. Mémorandum qui était erroné à l’époque et dont le contenu s’est révélé largement inexact avec le recul.
En juin 1992, ce même Weinberger était inculpé par un grand jury fédéral sur deux chefs d’accusation : parjure et obstruction à la justice dans l’affaire de l’Irangate. Six mois plus tard, soit avant qu’il ne soit jugé, le président George H.W. Bush lui a cependant accordé sa grâce.
Les arrière-grands-parents paternels de Weinberger ont abandonné la religion juive à cause d’une dispute dans une synagogue de Tchécoslovaquie et Weinberger, comme ses parents, est un fervent chrétien. Lawrence Korb, vice-ministre de la Défense sous Weinberger, affirmait que, s’il n’était pas antisémite, son patron avait « une aversion presque viscérale » pour l’influence qu’exerçait Israël sur la politique américaine. A l’époque, le ministre de la Défense et quelques autres hauts responsables américains n’ont pas apprécié le bombardement du réacteur nucléaire d’Osirak par Israël en juin 1981. Selon Angelo Codevilla, professeur émérite de l’université de Boston en relations internationales, qui avait accès aux informations des services secrets en tant que membre du Comité restreint du Sénat sur les services de renseignements, il y avait une raison précise à cette mauvaise humeur : soucieux de contrebalancer l’influence de l’Iran, les Américains cherchaient alors à se faire un allié de Saddam Hussein.
Voilà pourquoi les Etats-Unis ne donnaient pas à Israël les informations qu’ils avaient pourtant accepté de lui livrer. Aussi leur colère a-t-elle atteint des sommets quand Pollard est allé fournir lui-même ces renseignements cruciaux à l’Etat hébreu.

Sa part du contrat

Malgré tout le temps passé en prison, Pollard n’a jamais eu droit à un vrai procès, puisqu’au départ, à la demande des gouvernements israélien et américain, il a fait l’objet d’une transaction pénale qui a épargné aux deux Etats un procès long, difficile, onéreux et potentiellement embarrassant.
En coopérant avec l’accusation, Pollard a effectué sa part du contrat. Il n’en a pas moins été condamné à la perpétuité, assortie d’une recommandation stipulant qu’il ne devrait jamais obtenir de libération conditionnelle, en complète violation avec l’accord de plaider-coupable qu’il avait passé avec le gouvernement.
On n’a jamais reproché à Pollard d’avoir porté atteinte aux Etats-Unis ou mis en péril des codes, des agents ou des projets de guerre. Il n’a jamais été accusé de trahison, charge qui s’applique aux individus qui espionnent au profit d’un pays ennemi en temps de guerre.
Pourtant, deux mois avant le verdict de mars 1987, Weinberger a transmis à Aubrey Robinson, le juge chargé de la décision, un mémorandum de 46 pages classé top-secret. Ni Pollard ni ses avocats n’y ont eu accès à l’époque et ils n’ont donc pas pu contester les fausses accusations qu’il contenait.
La veille du verdict, Weinberger a ajouté à ce mémorandum quatre pages, dans lesquelles il accuse à tort Pollard de trahison.
« Il est difficile pour moi, même lors de ce que l’on a appelé « l’année de l’espionnage », de concevoir préjudice plus grand vis-à-vis de la sécurité nationale que celui causé par le prévenu, pour ce qui est de l’ampleur, de l’importance critique pour les Etats-Unis et de la haute sensibilité des informations qu’il a vendues à Israël », écrit Weinberger dans ce mémo.
« Je suggère respectueusement qu’un citoyen américain, et en particulier un fonctionnaire du gouvernement, qui vend des secrets américains à une nation étrangère ne soit pas simplement puni comme un criminel de droit commun.
La sanction imposée doit refléter la perfidie des actions de l’individu, l’ampleur de sa trahison et la nécessité de préserver la sécurité nationale. »
Pollard a pu consulter ce supplément au mémorandum de Weinberger une seule fois, et ce quelques instants à peine avant le verdict. Depuis, malgré toutes leurs démarches, ses avocats n’ont jamais pu avoir accès à ces documents, qui ont lourdement pesé dans la décision de le condamner.

Un document – trop – confidentiel

Sachant que le mémorandum de Weinberger était l’élément de référence des représentants de l’Etat à l’audience, les avocats ont réitéré leurs efforts pour l’obtenir lorsqu’ils ont déposé la demande de liberté conditionnelle de Pollard. Le tribunal a continué à en refuser l’accès, affirmant que les avocats n’avaient pas besoin d’en connaître le contenu et que lui-même n’avait pas la compétence nécessaire pour le rendre public. Mais ce que l’on sait de ces documents, a protesté Semmelman, c’est que Weinberger n’y expose pas des faits, mais ses propres prédictions et ses projections sur les dommages potentiels causés par Pollard, et que ces conjectures se sont révélées fausses avec le temps.
Dans une interview de 2002, le journaliste Edwin Black demandait à Weinberger pourquoi il avait omis d’évoquer l’affaire Pollard dans son autobiographie. « Parce que c’était, dans un sens, une affaire mineure, mais que l’on a beaucoup gonflée », a répondu l’intéressé.
Il existe une autre raison possible à la sentence de perpétuité infligée à Pollard : le mémo (erroné) de Weinberger a mis le juge afro-américain Aubrey Robinson en rage, car il stipulait que Pollard avait fourni à Israël des informations sur le contrôle par satellite américain des essais de missiles conjoints entre Israël et l’Afrique du Sud.
Dans son livre de 1991 intitulé Houtzpa, le procureur Alan Dershowitz écrit que l’ex-juge de la cour suprême Arthur Goldberg lui a dit avoir entendu de la bouche de Robinson lui-même que cette sympathie supposée de Pollard pour ce rapprochement Israël-Afrique du Sud avait beaucoup pesé dans son verdict.
« Robinson n’aime pas beaucoup Israël, même s’il n’est pas antisémite, mais cette histoire avec l’Afrique du Sud l’a mis dans tous ses états », a confié Goldberg à Dershowitz. Pollard, de son côté, a nié avoir livré de tels renseignements à Israël, et l’accusation ne lui a d’ailleurs jamais reproché de tels faits.
Selon un formulaire du dossier de Pollard, compilé par l’accusation en 1987, c’est surtout le mémo de Weinberger qui a incité le juge à réclamer la perpétuité. Les avocats de Pollard déclarent en conséquence que, si un document auquel ils n’ont pas accès est utilisé pour refuser la liberté conditionnelle à leur client, on peut affirmer que Pollard ne reçoit pas ce traitement juste et équitable qu’Obama a promis aux Israéliens.

Un verdict disproportionné

Tel est le postulat d’une lettre envoyée cette semaine à Obama par plusieurs hauts fonctionnaires américains qui connaissent bien les dossiers classés top-secret de l’affaire Pollard. Ils y renouvellent leur appel à Obama de commuer la sentence de Pollard sur la base des vices de procédure.
« Nous écrivons pour protester contre le traitement injuste qu’a reçu la demande de mise en liberté conditionnelle », déclarent-ils dans la lettre. « Notre analyse de la décision de la commission nous conduit à contester avec vigueur les conclusions auxquelles elle a abouti et à exprimer notre consternation face à ce processus profondément vicié. »
La commission a écrit que l’espionnage de Pollard constituait « la plus importante mise en péril de la sécurité américaine à ce jour », ajoutent-ils. C’est faux : cette accusation n’est étayée par aucune preuve, ni dans le domaine public, ni dans les dossiers confidentiels.
« Le manque de sérieux du document de 1987 signé Weinberger était connu, mais la commission n’a pas tenu compte de ce fait », écrivent encore les fonctionnaires américains. « Pire, elle a ignoré tous les autres éléments du dossier, qui tempèrent les faits reprochés et qui devraient entraîner la libération immédiate de M. Pollard. »
Ils précisent également que Pollard a exprimé les regrets de la façon requise et a subi une peine bien plus sévère que d’autres personnes condamnées pour espionnage au profit d’un Etat allié des Etats-Unis, délit passible, en règle générale, de deux à quatre ans de prison seulement.
« Nous sommes profondément troublés que ce verdict disproportionné se prolonge encore aujourd’hui. Cette incarcération a duré 30 ans et rien ne permet d’espérer qu’elle prenne fin bientôt », écrivent-ils. « Refuser la liberté à un homme sur la base d’une accusation qui est manifestement fausse, tout en ignorant des preuves documentées disculpatoires et en se dissimulant derrière le paravent de preuves classées secrètes n’est ni normal ni juste, et ce n’est tout simplement pas dans la façon de faire américaine. »
Dans une interview téléphonique, Korb, l’un des signataires de la lettre, explique que la commission aurait dû prendre en compte non seulement l’opinion de Weinberger, mais aussi les points de vue des anciens directeurs de la CIA et du FBI et des ex-présidents des comités des renseignements au Congrès, qui, pour leur part, ne s’opposent pas à une liberté conditionnelle.
T
raitement de défaveur

Ainsi, l’ancien patron du FBI, William Webster, qui dirigeait le bureau à l’époque de l’arrestation de Pollard et a ensuite pris la tête de la CIA, déclarait l’an dernier au Jerusalem Post ne plus s’opposer à ce qu’Obama commue le verdict de perpétuité en une peine correspondant au temps déjà passé par Pollard en prison.
« Parce qu’il y a des circonstances dans lesquelles la compassion doit être de rigueur », a-t-il expliqué. « On peut le voir dans le cas d’autres individus qui ont commis des délits de gravité équivalente. Ces choses-là se jugent au cas par cas, bien sûr, je ne vois rien dans ce dossier qui me conduirait à m’opposer à une commutation. »
Quant à James Woolsey, ex-directeur de la CIA, il a même affirmé, dans une interview à Caroline Glick, du Jerusalem Post, que l’incarcération prolongée de Pollard était une affaire d’antisémitisme. « Pour moi, cet homme devrait être traité comme les autres en matière de renseignements livrés à des Etats alliés. Nous espionnons certains de nos alliés, il est donc normal qu’ils nous espionnent. Comme il s’agit d’alliés, les peines ne dépassent jamais quelques années de prison. Je crois qu’il faudrait que les gens arrêtent de se focaliser sur le fait que Pollard est juif ou israélien. On pourrait faire semblant qu’il est grec et le relâcher ! »
Korb regrette profondément que ces déclarations de Webster et de Woolsey n’aient pas été prises en compte à l’audience de libération conditionnelle.
« Woolsey a pu consulter l’ensemble du dossier de Pollard, et c’est dur », explique-t-il. « Il faut espérer qu’en voyant la vigueur avec laquelle le comité de probation a réagi, les gens comprendront qu’il y a bel et bien eu erreur judiciaire.
On a déjà vu cela par le passé. Il ne faut pas oublier qu’ils ont saboté l’accord initial de plaider-coupable, tout de même ! »
Korb n’a jamais constaté de nuisances concrètes causées par Pollard aux Etats-Unis ; en revanche, il se souvient d’espions comme John Walker, qui a fourni aux Soviétiques des informations permettant de localiser les sous-marins américains, ou Robert Hanssen, qui a livré aux mêmes Soviétiques une liste complète d’agents doubles américains et leur a révélé l’existence d’un tunnel du FBI sous l’ambassade d’URSS à Washington.
Au fil des ans, Pollard a également été accusé – à tort – d’avoir compromis des agents américains d’Europe de l’Est : à la vérité, c’était le chef de la division de la CIA pour l’Europe de l’Est et l’URSS, Aldrich Ames, qui s’était rendu coupable de ce crime avant d’en accuser Pollard. Les renseignements transmis par Ames à l’URSS auraient saboté au moins 100 opérations d’espionnage américaines et conduit à l’exécution d’au moins 10 informateurs.
Pour Codevilla, il est évident qu’étant donné son accès limité aux informations, Pollard n’aurait jamais pu relayer de tels renseignements. « Il y avait de nombreux secrets à l’époque, mais Pollard n’avait accès à aucun d’eux », affirme-t-il.

La faute à Bennett ?

L’équipe travaillant à la libération de Pollard s’est demandé pourquoi Obama était prêt à faire libérer Pollard dans le cadre des négociations pour la libération de prisonniers arabes israéliens, si la commission américaine de liberté provisoire avait vraiment reçu l’instruction de traiter le dossier Pollard avec la même équité que ceux de Ames, Hanssen et Walker.
 En juillet dernier, le magazine américain The New Republic a consacré un long article à l’échec des pourparlers israélo-palestiniens. On y apprend que le secrétaire d’Etat américain John Kerry a d’abord suggéré à Obama d’utiliser Pollard dans les négociations au tout début du processus de paix de 9 mois, puis de nouveau au moment où les négociations menaçaient de capoter.

« Obama n’est pas prêt à recourir à cette option sans une garantie qu’elle permettrait une véritable avancée », écrivent Ben Birnbaum et Amir Tibon. « Seulement, Kerry ne sait plus quoi faire. Au Ritz, il explique à Obama et à [sa conseillère à la sécurité nationale Susan] Rice que, sans Pollard, l’arrêt des pourparlers n’est plus qu’une question de jours (en partie à cause de sa mauvaise communication de départ avec le Premier ministre Benjamin Netanyahou). Obama est furieux. Tard dans la nuit toutefois, après des heures de discussion, il donne son feu vert à Kerry. « Je le fais parce que j’en ai envie, John », dit-il.

« Je le fais pour vous »

Depuis, des sources diplomatiques ont révélé qu’en échange de Pollard, Netanyahou était prêt à libérer le quatrième groupe de prisonniers palestiniens, qui incluait des Arabes israéliens. C’était juste avant que le président de l’Autorité Palestinienne Mahmoud Abbas ne prenne les mesures qui ont mis fin aux pourparlers.
En apprenant l’intention de Netanyahou, le dirigeant de HaBayit HaYehoudi Naftali Bennett avait menacé de quitter la coalition si des Arabes israéliens en question étaient libérés, mais Netanyahou avait tenu bon pour Pollard.
Dans une interview au Yediot Aharonot le mois dernier, la ministre de la Justice Tzipi Livni, qui conduisait les négociations, a pourtant semblé incriminer Bennett et ses alliés pour la prolongation de l’incarcération de Pollard.
« Nous avions atteint le point où les Etats-Unis étaient disposés à le libérer », affirme-t-elle. « Ceux qui souhaitent le voir en liberté peuvent se demander pourquoi cela n’a pas marché. Les leaders des implantations qui, à chaque étape, réclament la libération immédiate de Pollard, feraient bien de s’interroger sur leur part de responsabilité dans son maintien en prison. »

L’atout Pollard

Ce n’était pas la première fois que Pollard frôlait ainsi une libération dans le cadre d’un processus diplomatique. En 1998, dans le cadre des accords de Wye Plantation, dans lesquels Israël acceptait de se retirer de 13 % des territoires de Judée-Samarie situés en zone C, Netanyahou avait demandé à Bill Clinton, le président américain de l’époque, de le relâcher.
Les négociations étaient alors en si bonne voie que l’on avait prévenu la famille de Pollard qu’elle devait se préparer à sa libération et que les dossiers de presse étaient déjà prêts.
Clinton reviendra cependant sur sa parole lorsque le directeur de la CIA George Tenet menace de démissionner. Le négociateur américain Dennis Ross révèle dans son livre The Missing Peace, paru en 2005, avoir conseillé à Clinton de maintenir Pollard en détention : ce sera un atout à sortir plutôt dans la dernière phase du processus de paix.
« Est-ce un grand sujet politique en Israël, et cela va-t-il aider Netanyahou ? », aurait demandé Clinton à Ross.
 « Oui », aurait répondu Ross, « car Pollard est considéré comme un soldat en Israël, et qu’il y a dans le pays un principe selon lequel on n’abandonne pas un soldat derrière soi sur le champ de bataille. Mais si vous voulez mon avis, je ne le libérerais pas maintenant. Ce serait une rétribution considérable pour Bibi, et vous n’avez pas en main beaucoup d’atouts de ce poids. Si c’était moi, je le garderais en échange du statut permanent. Vous en aurez besoin plus tard, ne l’utilisez pas maintenant. »

De tels comportements en ont convaincu plus d’un que, si Pollard est toujours en prison, c’est que le gouvernement le garde de côté en perspective d’un futur processus de paix israélo-palestinien. L’échange de prisonniers d’avril dernier, qui incluait Pollard, reste techniquement sur la table, même si rien ne laisse présager d’une reprise des pourparlers et même si Netanyahou et Abbas ne se sont pas vus le mois dernier alors qu’ils étaient tous les deux à Amman avec Kerry.
« Pollard est toujours en prison parce qu’on l’a transformé : ce n’est plus un Américain qui a commis un délit et a été injustement condamné, mais un objet négociable », affirme Lauer. « Un pion qui reste à utiliser et que l’on ne gâchera pas pour rien. »

Mobiliser la communauté juive américaine
Outre une mauvaise conduite en prison, les autres motifs qui interdisent d’accorder la liberté conditionnelle sont les risques pour la sécurité nationale que pose un prisonnier. Selon ses avocats, cela ne peut plus s’appliquer à Pollard depuis longtemps. « L’Etat sait exactement ce que savait Pollard à l’époque de son arrestation, parce que Pollard a été débriefé par des spécialistes du gouvernement américain sous le contrôle d’un détecteur de mensonges », explique Lauer. « Et puis, que pourrait-il savoir qui ait encore de l’importance aujourd’hui ? Où se trouvaient les troupes de Saddam Hussein il y a trente ans ? Où se cachait la base de Yasser Arafat en Tunisie ? »

« Rien ne permet d’imaginer qu’une fois relâché, Pollard irait commettre un nouveau méfait, quel qu’il soit », renchérit Semmelman. « C’est tout simplement grotesque. Pollard a juste envie de profiter en toute liberté du temps qu’il lui reste à vivre, de la paix et de la tranquillité. »
« Maintenant que l’option de demande de liberté conditionnelle a été tentée et a échoué, Pollard doit se rabattre sur le seul espoir qu’il lui reste : la grâce présidentielle. Pour cela, les Juifs américains seront de nouveau sollicités pour faire entendre leur voix. »
Malcom Hoenlein, qui a accédé à la présidence de la Conférence des présidents des grandes institutions juives peu après l’arrestation de Pollard, a indiqué dans une interview téléphonique que, pour faire libérer Pollard, il faut convaincre non seulement Obama, mais aussi 5 agences gouvernementales américaines. Pourtant, il est prêt à relever le défi. « C’est une situation scandaleuse, une tragédie qui doit s’arrêter », déclare-t-il.
Farley Weiss, président du Conseil national d’Israël Hatzaïr, association juive orthodoxe qui a beaucoup œuvré pour aider Pollard, affirme que les nouvelles récoltées après l’échec de l’audience de libération conditionnelle devraient inciter la communauté juive, qui était jusque-là convaincue que Pollard serait libéré après 30 ans, à renouveler ses pressions sur Obama.
« Ce n’est pas une façon de traiter un allié », estime-t-il dans une interview téléphonique. « En n’accordant à Pollard ni une grâce ni une mise en liberté conditionnelle, l’Amérique détériore ses relations avec Israël, et ce n’est pas bien. La communauté juive était persuadée qu’il obtiendrait sa liberté conditionnelle l’an prochain. Ce refus cruel et scandaleux qu’il vient d’essuyer va la mettre en rage. »

Mauvaise stratégie
En revanche, Jack Berger, un ami de la famille qui milite pour Pollard à Chicago, doute du pouvoir et de la volonté d’agir des Juifs américains.

« Les dirigeants communautaires ont totalement abandonné Jonathan Pollard, et ils devraient en avoir honte », déclare-t-il dans une interview à Jérusalem. « Puisqu’ils jouissent d’une réelle influence, pourquoi n’ont-ils pas exigé que Pollard soit traité comme n’importe quel autre détenu condamné pour espionnage ? Ils auraient dû faire pression sur les élus et inciter les Juifs à refuser d’apporter leur soutien aux candidats tant que Pollard n’est pas libre. »
Mais un dirigeant communautaire américain qui souhaite garder l’anonymat, estime pour sa part que Pollard est en partie responsable de son incarcération prolongée, car sa stratégie pour tenter d’obtenir sa libération est mauvaise depuis le départ.
« Pendant 19 ans, il n’a jamais sollicité la liberté conditionnelle », déplore-t-il. « Au lieu de cela, il a eu recours à des intrigues et au chantage ; dans ces conditions, on pouvait se douter qu’au moment où il obtiendrait une audience de libération conditionnelle, les choses ne se passeraient pas bien ! »
Pourtant, les avocats de Pollard restent convaincus que rechercher la commutation présidentielle, stratégie qui a échoué jusqu’à présent, demeure le seul moyen de faire sortir leur client de prison.
Pour cela, ils espèrent que les pressions exercées sur le gouvernement reprendront bientôt, non seulement de la part des Juifs américains, mais aussi des associations pour les libertés civiques.
« La communauté juive américaine et les associations pour les libertés civiques doivent désormais prendre l’affaire Pollard à bras-le-corps et s’y atteler comme il se doit », déclare Lauer.
« Elles pourraient par exemple poser au gouvernement les questions importantes et dérangeantes, afin d’obtenir des réponses claires sur les raisons qui le maintiennent en prison. Oui, elles pourraient faire bien davantage pour amener la libération de Pollard. »

Source Jerusalem Post