vendredi 5 décembre 2014

Vayichlah : Je vous ai distingués parmi tous les peuples


« Sauve-moi, de grâce, de la main de mon frère, de la main de ‘Essav » (Béréchit 32,12). Les commentateurs s’interrogent sur la répétition que contient ce verset : étant donné que Ya’aqov n’avait qu’un seul frère, pour quelle raison précisa-t-il dans sa prière « de la main de ‘Essav » après avoir déjà déclaré « de la main de mon frère » ? ....


Le Bet haLévi propose de résoudre ce problème en expliquant que Ya’aqov craignait deux comportements différents de ‘Essav : d’une part, celui-ci pouvait chercher à le tuer. Mais Ya’aqov craignait également que son aîné opte pour une attitude bienveillante, lui imposant une cohabitation dans la paix et la concorde.

Or à ses yeux, ces deux démarches étaient aussi dangereuses l’une que l’autre : s’il souhaitait évidemment ne pas être tué au combat, les effusions fraternelles de ‘Essav et sa bienveillance le rebutaient tout autant. Ainsi s’explique également cette autre répétition du verset : « Ya’aqov fut fort effrayé et plein d'anxiété » – il était autant effrayé par la lutte qu’il devrait peut-être mener contre ‘Essav, que plein d’anxiété face à une démonstration d’amitié malvenue. Dans sa prière, Ya’aqov implore donc le Saint béni soit-Il d’être sauvé de ces deux mains qui se tendent vers lui : celle du frère – qui lui propose amour et bienveillance – et celle de ‘Essav, déterminé à l’anéantir.
Dans la suite du récit, il apparaît que ces deux requêtes furent exaucées. Au début de la rencontre, ‘Essav cherche effectivement à tuer Ya’aqov, mais la Protection divine l’empêche de mener ses desseins à bien. Ensuite, lorsqu’il s’attendrit sur son frère, il lui propose d’unir leurs campements : « Partons et marchons ensemble », mais Ya’aqov refuse cette proposition, car il ne peut tolérer une telle promiscuité, ne serait-ce qu’une journée.

Finalement, D.ieu l’épargne également de cette seconde épreuve : « ‘Essav reprit le chemin de Sé’ir. » Ainsi, conclut le Bet haLévi, il apparaît que les deux prières de Ya’aqov furent exaucées.
Nous pouvons par ailleurs remarquer que Ya’aqov éprouvait plus de crainte de la main de son frère – qu’il évoqua en premier – que de la main de ‘Essav, car il réalisait que l’amour d’un frère mécréant est plus redoutable que la mort qu’il pourrait lui infliger.

En effet, si ‘Essav l’ennemi – qui cherche à tuer son frère – constitue un danger physique, ‘Essav le frère représente quant à lui une menace spirituelle, dans la mesure où son influence peut entacher le Juste qui le côtoie. A cet égard, nos Sages annoncent explicitement : « Celui qui fait fauter autrui est pire que celui qui le tue » (Bamidbar Rabba 21).
De tout temps, les dirigeants spirituels de notre peuple éprouvèrent les plus grandes appréhensions lorsque les nations du monde voulurent accorder au peuple juif l’égalité des droits. L’assimilation et la perte de l’identité juive qui s’ensuivirent fatalement, prouvèrent le bien-fondé de leurs craintes.
On raconte que pendant la conquête napoléonienne, rav Chnéor Zalman de Liadi œuvra abondamment pour la victoire du Tsar, bien que cette démarche ne semblât pas être à l’avantage des Juifs.

Le Maguid de Koznitz priait lui aussi pour la défaite de Napoléon, ce monarque qui prônait pourtant l’égalité des Juifs. Ces sages, par leur formidable perspicacité, voyaient à l’avance le danger que représentaient ces « privilèges » pour le judaïsme authentique.
Des mouvements tels que la Réforme et la Haskala, qui sévirent considérablement en Europe de l’Est, prouvèrent combien ces grands hommes avaient vu juste.
Regrettablement, beaucoup de Juifs sont encore aujourd’hui convaincus qu’une assimilation intégrale au sein des nations serait susceptible de rendre leur vie meilleure.

Mais déjà, à l’époque du prophète Yé’hezqel (20,32), ces thèses aberrantes étaient en vogue, comme en témoigne cette prophétie : « Ce qui vous vient à l’esprit ne se réalisera pas ; lorsque vous dites : “Devenons comme les nations, comme les familles des autres pays pour adorer le bois et la pierre.“ »
Mais à ces tristes flatteurs, il convient d’opposer la réplique incisive du Bet haLévi (sur la paracha de Chémot) : « Le verset : “Tes huiles aromatiques sont suaves à respirer“ (Chir haChirim 1,3), est ainsi commenté par le Midrach Rabba : De la même manière que l’huile ne se mélange pas aux autres liquides, ainsi Israël ne se mélange pas aux enfants de Noa’h.
Cette division s’avère en effet imprescriptible dans la mesure où le Saint béni soit-Il a donné au peuple juif la Tora et les mitsvot pour le distinguer des nations du monde, conformément au verset : “Je vous ai séparés des autres peuples pour que vous soyez à Moi“ (Vayiqra 20,26). Or, si le peuple juif en venait à se rapprocher de ces peuples, que D.ieu préserve, le Saint béni soit-Il devrait alors réactualiser leur différence en faisant naître la haine dans le cœur des nations – et ce, pour le bien du peuple juif, afin qu’il cesse de se mêler à elles. »
Et de fait, une analyse objective de l’Histoire prouverait que c’est précisément pendant les périodes où les Juifs ont rejeté le joug de la Tora et des mitsvot pour mieux s’assimiler aux nations, que l’antisémitisme les a frappés avec la plus grande cruauté.
Dans la suite de son commentaire, le Bet haLévi cite un passage du Zohar révélant que les enfants d’Israël furent exilés en Egypte notamment – au sein d’un peuple qui renia ses dirigeants, Yossef en l’occurrence, et leur attribua le statut d’esclaves –justement pour qu’ils restent à l’abri de l’assimilation. Cet auteur conclut son propos en ces termes : « C’est ce phénomène que, dans notre long exil, nous constatons ostensiblement en Hongrie et en Roumanie, où chaque jour la dose de haine contre les Juifs ne cesse de s’accroître. Or, si l’on s’en remettait à la raison et à la nature des choses, la haine devrait au contraire s’amoindrir au fil des jours, comme tout phénomène au monde qui débute avec puissance et qui ne cesse ensuite de régresser par l’effet du temps.

Ainsi, notre exil aurait logiquement dû être plus terrible à son début que par la suite. L’explication de ce phénomène réside dans le fait que plus les Juifs tentent d’estomper la démarcation voulue par la Tora grâce à l’accomplissement de ses mitsvot, plus le Saint béni soit-Il accroît la haine dans le cœur des nations pour maintenir le but recherché, c'est-à-dire que le peuple juif reste séparé. »
Dans l’ouvrage Yémot ‘Olam (page 60), l’auteur rapporte que lorsqu’éclata en 1870 la guerre franco-allemande – période où le mouvement de la Haskala régnait en maître dans ces pays –, le Maguid de Kelm annonçait déjà dans ses discours, 70 ans avant la Shoah et avec une lucidité percutante : « L’Allemand ne persécutera pas le Juif sans prétexte : le jour où il relèvera la tête, il ne se contentera pas d’être un “simple“ ennemi d’Israël. Pour persécuter les Juifs, il établira un authentique “code légal“ institutionnalisant la haine du peuple juif, que D.ieu nous protège.
Prenez aujourd’hui note de ce que j’avance ! C’est à cause de la transgression de notre Choul’han ‘Aroukh par Geiger [l’un des chefs de file de la Réforme], qu’un nouveau “Choul’han ‘Aroukh“ version allemande sera rédigé, dans lequel on pourra lire : “Le meilleur des Juifs, tue-le !“ Que D.ieu nous garde et nous protège ! »
Peu après le congrès de la Réforme de Brunswick – lors duquel fut proclamée notamment une autorisation des mariages mixtes – rav Israël Salanter avait également formulé une idée semblable : « Au regard de cette permission, affirma-t-il, viendra un jour où les nations décréteront pour elles-mêmes une défense de contracter un mariage avec un Juif. »
Et de fait, un peu moins d’un siècle plus tard, les nazis proclamèrent les sordides décrets xénophobes connus sous le nom des « Lois de Nuremberg ».
Dans le même ordre d’idées, Rabbi Meïr Sim’ha de Dvinsk écrit dans son Or Saméa’h (sur la paracha de Bé’houqotaï) : « Parce que l’homme “éclairé“ considère Berlin comme Jérusalem, surgiront la tempête et la tourmente. »
Effectivement, pendant la Shoah, les Allemands pourchassèrent ces Juifs réformés en enquêtant sur leur ascendance, et toute personne dont certains grands-parents étaient Juifs était sur-le-champ condamnée à la déportation. Beaucoup de ces hommes et femmes avaient pour leur part même oublié leur identité juive.

Mais les ennemis d’Israël ne les épargnèrent pourtant pas : les traquant dans leurs retranchements, ils leur rappelèrent qu’ils n’appartenaient pas à la « pure race aryenne ». C’est de cette manière que s’accomplit, d’une manière ou d’une autre, l’annonce du verset : « Je vous ai séparés des autres peuples. »
Ces différents exemples révèlent la pertinence de la vision de la Tora sur le rapport réel qui existe entre le peuple juif et les nations du monde, mise en relief par le Bet haLévi : Toute intégration superflue au sein des nations constitue un danger moral pour le peuple juif. Par conséquent, les persécutions antisémites ne sont que le reflet de la Volonté divine d’entretenir cette distinction entre Juifs et non-juifs.

Pour illustrer cette idée, le ‘Hatam Sofer donnait l’image suivante : le soleil et le vent avaient fait le pari qu’ils seraient capables de faire ôter son manteau à un voyageur. Le vent se mit donc à souffler puissamment et frappa l’homme avec vigueur, mais en vain : plus le froid l’agressait, plus l’homme se calfeutrait dans la fourrure de son manteau.
Lorsque vint le tour du soleil de faire ses preuves, il darda ses plus puissants rayons et fit régner sur terre une chaleur suffocante. Suant à flots, l’homme desserra petit à petit l’étreinte de son manteau et finit par l’enlever totalement.
L’idée à laquelle ce maître faisait référence est simple : de tout temps, les persécutions ont contribué à renforcer la fidélité du peuple juif à la Tora. A contrario, les prétendus « avantages sociaux » n’ont fait qu’accroître le danger moral, en encourageant les réformes de tous bords et l’abandon du judaïsme authentique.

Si le peuple juif apprend à entretenir cette distinction entre lui et les nations du monde, en restant scrupuleusement attaché aux principes de la Tora, nul autre recours ne sera nécessaire pour maintenir la sentence du verset : « Je vous ai séparés des autres peuples pour que vous soyez à Moi. »

Extrait du Lekah Tov, Béréchit Tome 2, disponible en librairie


Source Chiourim