mardi 6 janvier 2015

Le requiem de combat d'Imre Kertész...


Est-ce l'antichambre de la mort ? Est-ce la mort elle-même ? « L'Ultime Auberge » d'Imre Kertész (85 ans) est un livre funèbre, le requiem d'un écrivain prêt à plonger dans le néant. Mais aussi un livre de combat, un livre de vie. Tant qu'il restera un mot, une pensée à écrire, le romancier-philosophe juif sera encore homme-citoyen de ce monde, témoin actif de l'absurdité de l'existence...

 
Le prix Nobel mêle un peu tous les genres dans cet ouvrage désespérément urgent : journal, notes, maximes et roman. Une ébauche de roman qui porterait le nom d'« Ultime Auberge ». Un roman qui ressemblerait fort à un journal. Autobiographique forcément, car Imre Kertész n'a jamais mis rien d'autre dans ses livres que sa vie même, sapée à l'âge de quinze ans par la barbarie nazie dans les camps d'Auschwitz et de Buchenwald.

Résurgence de l'antisémitisme
A l'horreur des temps s'ajoutent les drames de la vieillesse, la maladie de Parkinson et le cancer de son épouse. Un maelström sinistre éclairé de rares moments d'apaisement : joie de la musique, chaleur des amis musiciens (Barenboïm, Andras Schiff), tendresse de la femme aimée, beauté de la nature, marques de reconnaissance - vite gâchées par la jalousie des uns et la haine des autres.

Plus jamais ça ? Kertészs ne croit pas au sursaut humaniste. Ranimé par l'intégrisme musulman et par les nationalismes européens, l'antisémitisme prospère et l'extermination des juifs redevient, selon lui, une menace. Ses propos peuvent être jugés excessifs, sa méfiance à l'égard des Arabes virant à la paranoïa... Mais, en forçant le trait, l'écrivain pointe avec acuité le racisme insidieux que sous-tendent les discours militants anti-Israël et la vulgate populiste.
Ulcéré par le virage ultraconservateur de la Hongrie, Kertész exalte la grandeur d'une Europe occidentale cultivée, ouverte, lumineuse, qui n'est peut-être qu'un souvenir (ou un rêve). Sa relation d'amour-haine avec Budapest, son affection pour Berlin troublent et émeuvent… « L'Ultime Auberge » est un précipité d'âme et de coeur à vif - de terreur aussi, qui rend sa plume plus ferme et plus ardente.
Comme l'humeur de l'écrivain, le style du livre varie : concis, presque télégraphique dans les notes des « Secrets dévoilés » ou des « Jardins de la trivialité », il devient ample et lyrique dans les deux parties romanesques. Chaque mot de « L'Ultime Auberge » est un souffle gagné sur la mort. La vie violente d'Imre Kertész est un grand livre inachevé, dont on attend la suite avec impatience.

Philippe Chevilley
 
Source Les Echos