lundi 12 janvier 2015

Les démocrates et les autres, main dans la main...

 
Sur les réseaux sociaux, dans la presse, certains n’ont pas manqué de s’étrangler à mesure que s’allongeait la liste des conviés. Ainsi donc, aux côtés des Hollande, Merkel, Renzi, Cameron, Holder, Sommaruga, Thorning-Schmidt et Boubacar Keïta, viendraient aussi défiler le Hongrois Viktor Orban, le Russe Sergueï Lavrov, le Gabonais Ali Bongo. Et encore, le Turc Ahmet Davutoglu, le roi et la reine de Jordanie Abdallah II et Rania ou le ministre des Affaires étrangères égyptien Sameh Choukryou...


Sans parler du trio israélien, Benyamin Netanyahou, appelant les juifs de France à gagner leur «foyer» d’Israël, et les grands habitués des déclarations scabreuses Avigdor Lieberman et Naftali Bennett. Autant de personnalités controversées et de représentants de pays en queue de classement dans l’échelle de la liberté de la presse en particulier, et des droits de l’homme en général.
Les critiques, voix discordantes dans le grand concert de fraternité planétaire dont Paris a été le théâtre, ont eu raison de ne pas se taire, de pointer du doigt les intrus. L’enjeu, précisément, dans ce rassemblement d’une cinquantaine de chefs d’Etat et de gouvernement et de ces grandes marches populaires, n’était-il pas de célébrer la libre expression et de manifester le rejet des extrémismes? «Nous vomissons sur tous ces gens qui, subitement, se disent être nos amis», s’était emporté samedi dans la presse néerlandaise Willem, dessinateur chez Charlie Hebdo.
«Netanyahou, Lavrov, Orban, Davutoglu, Bongo à la manif pour la liberté de la presse!!! Pourquoi pas Bachar el-Assad?» s’était pour sa part écriée dans un tweet Marion Van Renterghem, journaliste au Monde.
Y aller malgré tout? Certains s’y sont refusés. D’autres se sont lancés, mais en prenant leurs précautions: «Je marche, mais je suis conscient de l’hypocrisie de la situation», avait inscrit un manifestant sur sa pancarte.
Pourtant, la polémique n’a pas pris corps, balayée par la force des symboles et le torrent des foules.
D’emblée, l’Elysée avait voulu la déminer en assumant le choix de ses hôtes d’un jour souhaité exceptionnel: «Le président a été clair. Compte tenu du mal mondial que représente le terrorisme, tout le monde est bienvenu, tous ceux qui sont prêts à nous aider à combattre ce fléau.» La France s’est donné les moyens d’une organisation sans faille.
Commotionnée et déjà relevée, reconnaissons-lui d’avoir accompli ce tour de force: hier, Paris était la capitale, bien plus que de la France ou de l’Occident, celle du monde et de toutes les religions. Réplique implacable à l’épopée sanglante des frères Kouachi et d’Amedy Coulibaly.
Lorsque le cortège des dignitaires s’est ébranlé boulevard Voltaire, l’Histoire aussi s’est mise en marche. Tout y était, tous y étaient, du jamais-vu de mémoire d’homme.
L’Europe, main dans la main, enfin soudée de Berlin à Athènes. Le Proche-Orient, présent dans ce qu’il a de plus conflictuel (Benyamin Netanyahou et Mahmoud Abbas) et pourtant à quelques mètres l’un de l’autre; l’Afrique, celle des démocrates et des tyrans, de l’islam et du christianisme; la Russie et l’Ukraine, inconciliables et allant ce jour-là d’un même pas. A peine finie la marche, le premier ministre français Manuel Valls l’a admis: le symbole était fort; il faut maintenant aller plus loin.
A ceux qui s’en inquiétaient, démonstration a été faite que le risque de récupération n’existe pas.
En paradant au côté des démocrates, les Orban, Davutoglu et Bongo se sont lié les poings: au prochain faux pas, il se trouvera toujours quelqu’un pour leur rappeler qu’ils étaient eux aussi à la marche républicaine de Paris ce 11 janvier 2015.
Hier, il y avait en France près de 4 millions de consciences dressées comme des sentinelles. Et des dizaines de milliers partout ailleurs dans le monde.

Source Le Temps