mercredi 14 janvier 2015

Les juifs de Marseille vivent en état de siège...

Des soldats assurent la surveillance devant les écoles juives, comme ici à Marseille.
 
On se croirait dans une banque, avec des lumières vertes et rouges et des vitres sans tain. Au journaliste qui se présente, on lance: «Attendez dans le sas!» Ce n’est pourtant que l’entrée de l’école juive Gan Ami. Une entrée qui était hier en état de siège. Après quelques secondes, le directeur livre sa réponse: il ne parlera plus. «Trop occupé.». Nous sommes ici à quelques centaines de mètres de la place Castellane, un lieu emblématique qui marquait voici plusieurs siècles l’accès sud de Marseille...



Depuis, les temps ont changé. La ville s’est étendue, les communautés se sont installées, se sont côtoyées à défaut de s’apprécier. Demain, vont-elles s’affronter?
C’est la grande question qui taraude la communauté juive après les attentats de Paris. Assise dans la boulangerie-pâtisserie toute proche, Michèle Teboul est harcelée de SMS. La présidente locale du CRIF avale un thé bien chaud. Elle doit rassurer une à une des ouailles qui se demandent de quoi l’avenir sera fait. «Voir une voiture de police devant l’école, ce n’est pas nouveau, nous avons peur depuis longtemps, depuis l’affaire Ilan Halimi, depuis Merah. Mais là je ressens quelque chose de différent. Un malaise, un inconfort, comme si les juifs se trouvaient hors de la société française dans cette ambiance de grande cohésion nationale.»
Fiasco républicain
Cette dynamique cheffe d’entreprise fait référence au relatif fiasco de la marche de dimanche sur la Canebière. Elle a réuni 60 000 personnes dont très peu de musulmans. En outre, la communauté s’interroge: serait-on descendu dans la rue s’il n’y avait eu l’attentat contre Charlie Hebdo? Depuis quelques jours, les deux communautés, juive et musulmane, se toisent au lieu de dialoguer, ce qui fait monter la pression dans cette «rue des juifs». La supérette casher côtoie self-service, imprimerie, boutique de vêtements et épicerie spécialisée à quelques pas de l’école qui abrite 900 élèves. Hier, on notait de nombreuses défections dans les classes, comme en témoigne cette jolie mère de famille venue récupérer ses trois enfants.
«Toulouse fut terrible, mais là, j’ai l’impression qu’il s’est passé quelque chose de plus grave.»
Le sentiment est partagé par la propriétaire de la librairie-bazar située juste en face de l’école. «Je constate qu’il y a moins de clients depuis trois jours, alors j’ai fait des promotions pour tenter de les attirer», explique la commerçante qui s’accroche avec des promos «de 20 à 80%» sur les kippas, presqu’autant sur les verres à kiddouch utilisés dans les prières rituelles.
Ici on trouve de tout, la Paracha (la bible commentée), le Talmud, des bandes dessinées religieuses, des bénédictions du foyer que l’on accroche dans les vestibules… Mais hier, c’est comme si Moïse s’était arrêté de marcher sur l’eau. Le peuple juif de Marseille est pétrifié.
La fuite en Israël
Alors les histoires commencent à circuler, comme cette petite élève traumatisée qui fut prise de tremblements en pleine classe: «Coulibaly, il va me tuer!» Que faire? Pour beaucoup, la solution c’est le départ. Un septuagénaire est venu rendre visite à son fils qui tient l’imprimerie toute proche: «Je suis d’Antibes, je prépare mon Alyah. J’ai débarqué de Tunisie en 1957, je n’ai qu’un désir aujourd’hui, aller en Israël.» Nombreux seront les juifs de Marseille à faire de même, à rejoindre la mère patrie, à fuir cette peur moite qui envahit la terre de France.
Cette sale peur pourrait vider la rue des juifs de ses occupants. C’est en tout cas l’opinion de Jonathan, qui vend des pistaches dans sa boutique jouxtant le bar-tabac: «J’ai discuté avec ma mère au téléphone, nous allons mettre le magasin en vente et faire nous aussi notre Alyah.»
En Israël, les bras sont grands ouverts. Les promoteurs israéliens draguent à Marseille les futurs candidats au départ en leur offrant des jours meilleurs à Netanya, Tel-Aviv ou Raanana.
Car dans la Cité phocéenne, ce n’est plus vraiment ça. Jean Meyer, vice-président du CRIF, résume le malaise: «Nous sommes en guerre. C’est terrible de voir, devant les synagogues, des gens en treillis armés jusqu’aux dents.»
Source 24 Heures