dimanche 11 janvier 2015

Pour les Juifs de France, tout a changé...

 
Confrontés à des attaques et des insultes, les Juifs de France connaissaient déjà une situation difficile ; mais l'attentat du 9 janvier contre le supermarché casher change la donne, estime la presse israélienne dans ses différentes sensibilités...Analyse...


Pour le quotidien populaire israélien (centre-droit) Yediot Aharonot, "les attentats qui ont lieu à Paris ne constituent pas un choc des civilisations, ni même des religions. Il s’agit plutôt d’une intolérance vis-à-vis des autres valeurs, au nom de laquelle il est possible de commettre n’importe quel crime. La France le savait fort bien, longtemps avant l’établissement de l’Etat islamique."

Mais désormais, l’auto-défense juive est devenue nécessaire en France, explique Yediot Aharonot. "Si la communauté juive de Paris avait mis en place des vigiles, même non armés, dans les quartiers, on aurait pu savoir plus tôt qu’un terroriste s’était introduit dans le supermarché armé de kalachnikov et vêtu d’un gilet pare-balles, et on aurait pu le mettre en difficulté. Il y a beaucoup de jeunes Juifs très motivés et en bonne condition physique, qui auraient pu être déployés dans le secteur où a eu lieu la tragédie."
Le quotidien propose l’aide de l’Etat hébreu aux Juifs de France. "Israël peut faire profiter la communauté juive de son expérience, de son savoir-faire et de son équipement électronique, y compris pour l’entraînement et les connaissances en matière de sécurité. On ne peut pas se contenter de dire aux Juifs français de venir s’installer en Israël et que tout ira bien ; il faut les aider à se protéger."
Le choix des Juifs

Le Jerusalem Post, premier quotidien anglophone d’Israël assez marqué à droite, rapporte les propos du président de l’Agence juive Natan Sharansky (célèbre ex-dissident soviétique des années 70, devenu homme politique israélien) qui, quelques jours avant cette série d’attentats, lui déclarait que le "malaise éprouvé par les Juifs français dans leur propre pays devrait constituer un signal fort pour l’Europe quant aux dangers qui la menacent."
"Comment M. Sharansky est-il informé de ce malaise ? interroge le Jerusalem Post. Parce que plus de 7 000 Juifs français ont immigré en Israël l’an dernier ; parce que quelque 50 000 d’entre eux se sont renseignés sur l’alyah [le départ des Juifs vers Israël] en 2014 ; et parce que, sur les quelque 600 000 Juifs qui vivent en France, des centaines de milliers envisagent de quitter le pays. Selon lui, ces chiffres ne devraient pas présenter un intérêt uniquement pour Israël et les Juifs, mais aussi et surtout pour les Européens eux-mêmes : si les Européens ne sont pas prêts à fermer les mosquées où des individus prêchent la haine, alors l’Europe est condamnée".
Natan Sharansky ajoute : "Le Juifs français sont confrontés à un choix : ils peuvent faire partie d’une France libérale qui 'hait Israël', d’une France conservatrice qui ne considère pas les Juifs comme faisant partie de leur culture, ou d’une Europe islamique, ce qui est manifestement impossible. Ou bien, alors, ils peuvent partir... Ce qu’ils sont en train de faire."
 "Plus vite l’Europe libérale entrera en lutte, plus elle aura de chances de préserver ses valeurs. Car si l’Europe libérale n’est pas prête à lutter, l’Europe non-libérale sera prête à le faire. Plus la France continuera de fermer les yeux sur la menace et refusera de se préparer à défendre ses valeurs libérales et nationales, plus les forces ultranationalistes et intégristes représenteront l’unique défense", conclut Sharansky.

Ne pas paniquer


Sur un ton plus sobre, le quotidien de gauche Ha’Aretz écrit : "La prise d’otages dans une épicerie juive où quatre innocents ont trouvé la mort s’inscrit dans la continuité des attentats meurtriers perpétrés ces trois dernières années par des djihadistes français contre des sites juifs européens".
"La tuerie du Musée juif de Bruxelles de l’an dernier et celle qui a eu lieu en 2012 à l’entrée de l’école juive Ozar Hatorah de Toulouse étaient l’action de loups solitaires.
Cette fois, le degré d’organisation, les armes, l’équipement et la planification sont d’un ordre différent. Le cauchemar que vit la communauté juive française, cible d’une série d’attaques récentes qui n’ont pas été très médiatisées parce qu’elles n’ont pas fait de victimes, n’en est que plus grand. Les gros titres sur l’immigration croissante de Français en Israël sont exacts, mais ils ont occulté le fait que 98% de la communauté juive française est restée en France, s’accrochant à une vie confortable et relativement sûre — du moins l’espéraient-ils. Jusqu’à cette semaine."
 Pour Ha’Aretz, les démons du passé sont de retour pour les Juifs. "L’ordre donné vendredi 9 janvier de fermer des dizaines de magasins et restaurants juifs parisiens [notamment rue des Rosiers à Paris], la présence policière autour des écoles juives et les appels des représentants de la communauté juive à faire preuve de prudence et à rester chez eux dans la soirée de vendredi, jour du shabbat, sont l’expression d’un climat de siège que les Juifs d’Europe occidentale n’avaient pas connu depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale. Nous devons veiller à ne pas paniquer, ni à tirer dès maintenant des conclusions populistes.
Il est important toutefois de ne pas oublier que cette vague de terreur a commencé par un attentat qui n’était pas dirigé contre les Juifs, et que tous les citoyens français sont confrontés à une nouvelle menace, dont des millions de musulmans qui craignent un retour de flamme.
Source Courrier International