lundi 12 janvier 2015

Terrorisme, la semaine d’après : ce que peut nous apprendre l’exemple israélien de la vie dans une guerre longue à basse intensité...


Depuis l'attaque qui a visé Charlie Hebdo et causée la mort de 12 personnes, la menace n'a cessé de planer sur le pays. Qu'est-ce que peut nous apprendre la situation israélienne où l'explosion de violences peut intervenir à tout moment ? Pour Frédéric Encel, les deux situations générales française et israélienne sont très différentes...Interview...


Israël est en proie à un état de guerre quasi-constant avec une partie de ses voisins arabes depuis son existence. Or même si ces dernières décennies ont vu des traités de paix être signés - et respectés - avec l'Egypte et la Jordanie, des attentats terroristes extrêmement meurtriers ont ensanglanté le pays dans les années 1970, 1990 et surtout 2000.
La France, elle, n'a officiellement aucun ennemi et pas même beaucoup de vraies querelles, à telle enseigne qu'un seul et unique Etat ne partage pas de relations diplomatiques avec elle, la Corée du Nord ! Etat de guerre, rivalités territoriales, questions de frontières et de souveraineté d'un côté, calme et puissance géopolitique de l'autre.
Cela dit, si des massacres de type "Charlie Hebdo" et Hypercacher devaient se multiplier, nous nous rapprocherions de la situation non pas d'Israël comme Etat mais des Israéliens comme société. Car au fond, pour le citoyen lambda, l'homme de la rue qui prend le bus, fait ses courses, va au cinéma et emmène ses enfants à l'école, la casuistique géopolitique importe peu lorsque frappe le terrorisme. Qu'on se souvienne des épisodes sanglants de 1985-86 et 1995-96, lorsque les réseaux irano-hezbollahi puis islamistes algériens (GIA) nous avaient touchés...
 
Dans quelle mesure la menace régit-elle la vie quotidienne ?
 
Justement, en Israël, la menace terroriste - processus de paix ou pas (les pires attentats furent perpétrés par le groupe islamiste palestinien Hamas en plein processus d'Oslo ! ) - pèse en permanence comme une épée de Damoclès. Du coup, tant par détermination à ne pas céder que par simple nécessité, les gens vaquent malgré tout à leurs occupations, sortent beaucoup, fréquentent les lieux publics pourtant très exposés.

Durant la deuxième Intifada de 2000-2004 (qui fit 1200 tués israéliens et 4500 tués palestiniens, presque tous civils de part et d'autre), des parents ne prenaient plus le même bus afin de préserver leurs enfants du risque de devenir orphelins complets... Mais cette sorte de "zen attitude" est fille de l'usage et de l'habitude.
 

En France, il n'est pas sûr que nous soyons moralement aussi armés pour subir une vague de terrorisme pérenne et puissante sans gravissimes conséquences sociales voire politiques et institutionnelles. Quelles sont les mesures de sécurité prises par les citoyens ?
Aucune ne préserve de tout, mais disons que chacun est responsable et vigilent pour lui-même et son voisin. Toute agression terroriste en place publique voit immédiatement des gens intervenir pour tenter de neutraliser le ou les assaillants.

Sans compter, naturellement, la vigilance au quotidien vis à vis des paquets et colis abandonnés. Cela dit, n'oublions pas que beaucoup d'Israéliens possèdent une arme à feu, soit le fusil de leur service militaire et des périodes de réserve annuelles, soit le pistolet accordé par les autorités pour défense personnelle. Les arts martiaux sont aussi très pratiqués.

Et quel est le rapport que ces derniers entretiennent avec la violence et la peur ?

L'un des ciments nationaux, c'est cette volonté de prendre son destin en main en tant que peuple juif dans son propre pays. Ce qui implique de devoir se défendre et de pouvoir riposter puissamment face à toute agression, et de refouler le plus possible la peur. Pour autant, il existe des mouvements pacifistes (ex : La Paix maintenant, Il y a une limite, etc.), et des lois démocratiques pour réguler et limiter l'usage de la force, y compris lorsqu'est invoquée la légitime défense. Mais soyons honnêtes : de la théorie à la pratique, la distance est parfois considérable.


A la fin des fins, "la pureté des armes", vieux concept sioniste puis israélien, est toujours sujet à caution. Quant à la justice, elle est systématiquement confrontée au dilemme que connaissent toutes les démocraties : jusqu'où riposter et avec quelles armes ? Quels sont les effectifs policiers et militaires déployés à cet effet ?
Proportionnellement à la population, les forces de police en Israël rejoignent peu ou prou en effectifs celles des démocraties occidentales. Toutefois, des troupes d'élite militaires sont souvent affectées en cas de prises d'otages délicates, par exemple. 

Dans quelle mesure ces dispositions auraient-elles un sens pour la France ?

Pour l'heure, en France, il n'est pas question de déployer l'armée en opération offensive face au terrorisme. Deux bémols néanmoins : d'abord, nos troupes sont déployées au Mali et dans d'autres zones afin de lutter très directement contre des forces djihadistes ; ensuite, dans nos frontières, Vigipirate requiert déjà quantité de soldats de métier et, surtout, les RAID et GIGN - qui ont été tout à fait remarquables d'efficacité à Dammartin et Porte de Vincennes - disposent évidemment d'armes de guerre. 


Mais en Israël, davantage qu'une police solide, ce sont surtout des services de renseignement intérieur et extérieur qui permettent de juguler pour partie le terrorisme. Je suis à cet égard convaincu qu'un effort budgétaire sera consenti en France dans les années à venir dans ce secteur primordial. Y a-t-il également des leçons à tirer de la situation libanaise ?

Oui, une : un communautarisme exacerbé peut s'avérer désastreux. Certes, les réalités historiques, démographiques et religieuses divergent considérablement selon les pays, et on ne peut calquer le Liban et la France.

Là-bas, le système (du reste largement impulsé par la puissance mandataire française dans les années 1920-40 !) de la mosaïque confessionnelle renvoie au millet ottoman des quatre siècles d'occupation turque de la région, lorsque les communautés religieuses disposaient d'une relative autonomie.
Un système respectable en soi mais qui peut donner le pire, à savoir des guerres civiles très cruelles, et surtout qui ne correspond pas à la tradition gallicane puis laïque profonde de la France.
Chez nous, cette laïcité, la citoyenneté républicaine et l'unité nationale doivent l'emporter sans faille face à une dérive clanique ou confessionnelle porteuse d'injustices et de fanatisme. On a vu ces derniers jours à quel point le peuple français dans un prodigieux élan se retrouvait derrière ses propres valeurs. Force doit impérativement et toujours revenir à la Loi, car elle nous représente et nous protège tous.

Source Atlantico