mardi 3 mars 2015

« Hannah Arendt », une BD formidable aux éditions Naïve

 
C’est une mise en images formidable de la vie d’Hannah Arendt.  Il y avait eu en 2013 le film «Hannah Arendt » de  Margarethe Von Trotta, qui donnait à voir une femme intelligente, vive, vivante, et cette bande dessinée à son tour est un petit bijou. Celle qui est « une enfant du peuple du livre… Les images ne se donnent pas à moi », à laquelle son mari Heinrich Blücher donne à voir les tableaux au Louvre...
 

 L’histoire d’Hannah Arendt, en principe, on la connaît au moins dans ses grandes lignes.
L’enfance allemande n’est pas forcément triste, mais, peinte en vert, gris, vert de gris, elle m’évoque « Rhinocéros » de Ionesco avec ce même choix de couleurs – peut-être ce qu’Aragon nomme « tout avait la couleur uniforme du givre ».
Et puis la couleur arrive, toujours très nuancée, avec l’ouverture au monde des idées, de la philosophie, de l’intelligence. Des bruns, bleus, gris, ocres, et puis du vert, des touches de rouge.
Le livre est très documenté, il retrace bien et de façon très vivante cette existence, de la jeune fille indépendante et rebelle à l’étudiante d’Heidegger ou de Karl Jaspers, puis traversant les tourmentes de l’histoire avec la montée du nazisme et la guerre, Paris, le sud de la France, New York, l’aide aux juifs dans l’après-guerre, la création d’Israël.
C’est cet itinéraire de vie, d’intelligence, d’amitié, d’amour, de droiture de « la jeune fille venue de l’étranger », comme l’appelait son mari, fumant comme un pompier, citant de la poésie, choisissant toujours la vie même aux moments de désespoir ou de questionnement quand la mort sait se faire tentatrice, ou qui dit dans une interview à la télévision française : « Il n’existe pas de pensée dangereuse pour la simple raison que le fait de penser est en lui-même une entreprise très dangereuse. Mais ne pas penser est encore plus dangereux« , qu’il nous est donné de voir.


 Mon regret va au choix privilégié de la vie au détriment du contenu de l’oeuvre. En dire un peu plus à mon avis aurait mieux pu inciter le lecteur à aller plus loin. Ainsi, de cet extraordinaire « Les origines du totalitarisme », qui suscita tant de polémiques, nous saurons simplement que « je (H.A.) découvrais la multiplicité des services et des agences de l’organisation nazie.
C’est alors que j’ai commencé à comprendre la structure stratifiée « en oignon » des régimes totalitaires que je développerais dans mon livre« . Et des articles écrits pour le New Yorker lorsqu’elle suivit le procès d’Eichmann, nous n’en saurons pas beaucoup plus que ceci : "  C’est curieux la langue administrative du nazisme lui sert de corset. Il ne possède pas sa propre langue. C’est parfait pour lui : plus besoin de penser " .
J’aurais aimé davantage de développements sur sa pensée originale, avec son concept de la banalité du mal, ses écrits critiques du sionisme, notamment.
Il n’en reste pas moins que, la lecture terminée, j’étais sous le charme, oui, le charme, devant l’intelligence de compréhension d’une époque et des mécanismes destructeurs qui peuvent agiter de façon sporadique et récurrente l’humanité. 
Véronique Poirson
Source L'Express