mercredi 6 mai 2015

Problèmes d’enseignement de la Shoah : Gérard Larcher s’emballe


Le président UMP du Sénat était l’invité de RTL, dimanche 3 mai. L’occasion pour lui d’évoquer un rapport qu’il a remis en avril au président de la République, dans lequel il dresse un portrait sombre de la France. Gérard Larcher, qui plaide pour une laïcité réaffirmée mais équilibrée, dénonce notamment une situation qui serait dramatique dans les collèges et lycées français...
 

Ce qu’il a dit : «  Dans l’analyse que j’ai faite pour ce rapport, il y a plus de 10 % des collèges et lycées de ce pays où l’on ne peut plus enseigner une partie de l’histoire de France, la Shoah, l’histoire coloniale... On ne peut  plus enseigner la théorie de Darwin dans certains collèges. »

Pourquoi c’est hasardeux

Un collège et un lycée français sur dix ne pourraient plus enseigner la Shoah, l’histoire coloniale française ou même la théorie de l’évolution ? Le chiffre est édifiant. Il est malheureusement... totalement faux. Ou du moins totalement hasardeux.

1. Le chiffre introuvable

On compte en France 7 100 collèges et 4 300 lycées, selon les chiffres du ministère, soit 11 400 établissements, fréquentés par plus de 5,4 millions de collégiens et lycéens.
Selon M. Larcher, dans plus d’un millier d’établissements (ce qui représenterait potentiellement 500 000 élèves), on ne pourrait pas enseigner un certain nombre de choses en raison de pressions d’ordre religieux.
D’où provient ce chiffre ?
Mystère. Le rapport de M. Larcher, disponible ici, ne l’évoque nulle part. Tout au plus trouve-t-on, page 35, une allusion aux conclusions de la commission Stasi sur l’antisémitisme, ainsi qu’un exemple – tiré d’un article du Monde – d’un «  adolescent d’un lycée des quartiers nord de Marseille qui a peur qu’on sache qu’il est juif » (En réalité, l’article rapporte les propos d’un adolescent d’origine maghrébine, qui évoque le cas d’un ami à lui de confession juive).

2. Aucun indicateur d’une telle ampleur

L’histoire du génocide des juifs par l’Allemagne nazie est abordée en CM2, en troisième puis en première.
Bien entendu, il existe des situations et des établissements où les questions liées à la Shoah, à la colonisation ou à la religion peuvent être difficiles à évoquer en classe.
En janvier, Manuel Valls s’était interrogé lui aussi : « Comment accepter que, dans certains établissements, on ne puisse pas enseigner ce qu’est la Shoah ? » Mais le premier ministre n’avait donné aucune évaluation chiffrée du phénomène.
Le Monde avait évoqué le cas d’un lycée de Nancy où des enseignants témoignaient qu’enseigner la Shoah était « parfois moins facile qu’avant ». Mais ils ne renonçaient pas pour autant à aborder ce sujet.
L’association des professeurs d’histoire-géographie reconnaît que ces « conditions d’enseignement sur ce thème se sont dégradées » en dix ans, « particulièrement dans les établissements des zones sensibles », mais ajoute qu’il faut « se garder de généraliser ».
Contacté par Le Monde, le ministère de l’éducation nationale tombe des nues. Ses représentants assurent formellement qu’il n’y a aucune étude qui parvient à ce résultat, et le dément totalement.
Les chiffres de Gérard Larcher ne proviennent donc pas de cette source. Du côté de la présidence du Sénat, nous n’avons obtenu pour l’instant aucune réponse à nos sollicitations.
 
Source Le Monde