vendredi 5 juin 2015

Les exosquelettes bientôt parmi nous

 
En attendant l’arrivée de modèles contrôlés par la pensée, les dispositifs robotisés permettant aux handicapés des membres ­inférieurs de marcher ne sont déjà plus de la science-fiction. La scène est repassée en boucle lors du dernier Mondial. Le 12 juin 2014, le coup de pied inaugural de la Coupe du monde de football avait été donné par un paraplégique de vingt-neuf ans, Juliano Pinto, via un exosquelette. A l’origine de cette prouesse, un dispositif créé par une équipe de 156 chercheurs du monde entier, dirigée par le médecin brésilien Miguel Nicolelis...


Ce chercheur en neurosciences à la Duke University a mis au point une combinaison composée d’un exosquelette à base de tiges motorisées, d’un ordinateur et d’un casque à électrodes.
« C’est la première fois qu’un exosquelette est contrôlé par l’activité cérébrale et offre un feed-back aux patients », avait fait valoir son initiateur. Mais ce dispositif, baptisé « BRA-Santos », qui avait reçu 14 millions de dollars du gouvernement brésilien, reste très largement expérimental. D’aspect moins futuriste, les exosquelettes intelligents disponibles sur le marché n’en demeurent pas moins révolutionnaires.
Pionnier du genre : le ReWalk, un exosquelette robotisé portable permettant aux individus ayant un handicap des membres inférieurs de se tenir debout et de marcher. « Comparé au prototype exhibé l’an dernier, on peut qualifier notre produit de “low tech” », sourit John Frijters, vice-président des ventes et du développement de ReWalk Robotics pour l’Europe. Mais ce serait un compliment, car toute la difficulté a consisté à développer un système simple d’utilisation et basé sur l’apprentissage intuitif. »
Les circonstances de cette invention ne sont pas neutres. Né en Israël, ReWalk a été conçu par la start-up ArgoMedical Technologies, le nom d’origine de l’entreprise, basée sur le parc industriel de Yokneam Illit, près de Haïfa. Le produit, qui apporte un renforcement des hanches et une mobilité des genoux, peut permettre aux individus qui souffrent de blessures à la moelle épinière de tenir debout, de monter des escaliers et de remarcher.

Dans un pays où l’armée joue un rôle essentiel en matière d’innovation technologique, ReWalk Robotics fait partie de ces entreprises qui se soucient de répondre aux besoins de vétérans de guerre, un débouché naturel dans l’Etat hébreu, et à plus grande échelle aux Etats-Unis.

Agrément pour l’usage à domicile
Ce dispositif n’aurait pas vu le jour sans la ténacité d’Amit Goffer, titulaire d’un doctorat d’ingénierie électrique de l’Institut Technion, le « MIT ». Ancien collaborateur de la société Elscint, spécialisée dans l’imagerie médicale, ce scientifique avait fondé Odin Medical Technologies (qu’il cédera à Medtronic), avant de devenir tétraplégique suite à un accident de quad survenu en 1997. Quatre ans plus tard, il créé la start-up Argo pour développer une combinaison bionique permettant à certains paralysés de remarcher.

Ne maîtrisant pas suffisamment la mobilité de ses membres supérieurs, Amit Goffer, soixante et un ans, n’a cependant jamais pu utiliser le ReWalk pour ses propres besoins.
Dirigé par Larry Jasinski, ReWalk Robotics s’est lancé sur le Nasdaq l’été dernier, levant 36 millions de dollars lors de son introduction. L’entreprise a remporté une victoire décisive il y a tout juste un an, lorsque son exosquelette a reçu l’agrément de la Food and Drug Administration (FDA), l’agence américaine du médicament.
« Notre système est le seul à avoir reçu un feu vert de la FDA et à permettre un usage personnel à domicile », précise son responsable européen, John Frijters. Une allusion à peine voilée au concurrent californien Ekso Bionics, qui n’est proposé qu’en centre de rééducation. « ReWalk est également la seule technologie d’exosquelette à avoir été conçue par une personne non valide », ajoute-t-il.
Cette approche originale permet un usage indépendant. « A l’issue de 30 séances, on peut redonner à quelqu’un la possibilité de remarcher en dehors de la rééducation fonctionnelle. Surtout, le pilote fait symbiose avec la machine », pointe Fred Jean, PDG de société Runseat et distributeur français du ReWalk. Grâce à un dispositif de commande assistée par ordinateur et à des capteurs de mouvement, ainsi qu’à une batterie logée dans un sac à dos, l’utilisateur a l’entière maîtrise du système, qui se rapproche de la démarche naturelle.

L’enjeu du financement
Près d’une centaine de dispositifs ont été vendus depuis le lancement commercial, en 2013, dont 74 l’an dernier. Premier marché cible de l’entreprise : les Etats-Unis, où 273.000 personnes souffrent d’une blessure à la moelle épinière, dont 42.000 vétérans de guerre, partiellement ou totalement paraplégiques. Les médias américains ont largement évoqué le cas du premier « ReWalker », Derek Herrera, un capitaine du corps des Marines, blessé en 2012 par un sniper en Afghanistan. Son appareillage est financé par la fondation Marine Special Operations Command.  

Mais l’Europe, où le ReWalk est disponible depuis 2012, n’est pas en reste. Sur le Vieux Continent, l’exosquelette s’est retrouvé sous les feux des projecteurs lorsque Claire Lomas, une cavalière britannique paralysée à la suite d’un accident de cheval en 2007, a parcouru par étape les 42,2 kilomètres du Virgin London Marathon et franchi la ligne d’arrivée, grâce au système israélien d’orthèse bionique qu’elle a réussi à s’offrir avec l’aide de sa famille et de ses amis.
Car le vêtement-robot n’est pas à la portée de tous. D’un coût de 70.000 dollars, le produit reste exclu de la couverture de la plupart des compagnies d’assurances. Mais la firme, qui enchaîne les essais cliniques et multiplie les coopérations avec des centres de rééducation (dont celui de Kerpape, près de Lorient, en France), espère convaincre les assureurs des vertus de son exosquelette.
L’an dernier, des remboursements de base du ReWalk ont d’ailleurs été obtenus pour la première fois en Allemagne, et, en mars dernier, un assureur américain a accepté de financer l’exosquelette d’un policier d’Albuquerque (Nouveau Mexique) blessé en service. Signe que les standards de la profession sont susceptibles d’évoluer.
 
Le projet futuriste du CEA en route vers les essais cliniques
C’est l’un des projets les plus ambitieux en matière d’exosquelettes : permettre à un tétraplégique de piloter un exosquelette 4 membres par son activité cérébrale.

En cours de développement au centre de recherche biomédicale Clinatech, à Grenoble, le projet BCI (pour « brain computer interface ») associe deux implants mesurant l’activité du cortex, des algorithmes interprétant les signaux cérébraux et l’exosquelette proprement dit, d’un poids total de 60 kilos, batteries et ordinateurs inclus.
L’ensemble a été mis au point par différentes ­équipes de CEA Tech, le pôle de recherche du CEA. Lancé en 2009, le projet a été initié par Alim-Louis Benabid, neurochirurgien et pionnier de la stimulation cérébrale profonde pour traiter la maladie de Parkinson.
 « Les trois éléments ont été testés et qualifiés pour respecter les exigences européennes en matière de dispositifs médicaux, explique Guillaume Charvet, qui pilote le projet au CEA-Leti avec Corinne Mestais. Un dossier de demande d’essai clinique a été déposé le mois dernier auprès de l’ANSM (Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé) et du ­Comité de protection des personnes. » Une fois le feu vert ­obtenu, les essais pourront démarrer au CHU de Grenoble.


Trois domaines d’application

Le handicap

C’est, aujourd’hui, le principal marché des exosquelettes. Aux côtés de l’israélien ReWalk (lire ci-contre) et de l’américain Ekso Biotics, c’est le marché que visent le japonais Cyberdyne ou le français Wandercraft. Ce dernier, lauréat du concours d’innovation EDF Pulse l’an dernier, vise une mise sur le marché en 2017.
La défense
Les premières recherches sur les exosquelettes ont été menées par l’armée américaine dès les années 1960. Les américains Lockheed Martin (projet Hulc) et Raytheon (XOS) ont déjà présenté des prototypes, tout comme la DGA (projet Hercule) en France. Mais le fantassin façon « Ironman » est encore loin du champ de bataille.

L’industrie
Allier la puissance et la précision du robot aux capacités d’adaptation de l’être humain pour décupler sa productivité : c’est la promesse de la « cobotique ». RB3D, pionnier français du domaine, a présenté l’an dernier un exosquelette destiné à l’industrie qui permet notamment de porter de lourdes charges (jusqu’à 30 kilos).

Par Nathalie Hamou

 
Source Les Echos