Lorsque les explorateurs visitèrent la terre
d’Israël, ils firent la rencontre des « Néfilim », ces descendants des géants
qui avaient survécu au déluge. L’occasion donc de nous intéresser de plus près à
ces « hommes » hors du commun. Alors que les explorateurs sont à peine rentrés de
voyage et qu’ils entament le récit de leurs pérégrinations en terre d’Israël,
voilà qu’ils s’exclament : « Le pays que nous avons vu pour l’explorer est un
pays qui dévore ses habitants ! ...
Quant au peuple que nous y avons vu, ce sont
tous des gens de haute taille. Nous y avons même vu les Néfilim [littéralement :
ceux qui sont tombés- Ndlr], les enfants d’Anak, descendants des Néfilim : nous
étions à nos propres yeux comme des sauterelles, et ainsi étions-nous à leurs
yeux », (Bamidbar, 13, 32- 33).
Dans son commentaire sur la Torah, le Ramban
fait remarquer que les explorateurs furent tellement impressionnés par les
aspects surdimensionnés d’Erets Israël - ses eaux si puissantes, ses fruits si
énormes, etc. -, qu’ils en conclurent que ce pays devait être habité par des
géants (« des gens de haute taille »).
Or, il est remarquable qu’une telle
perception de la réalité fut comme corroborée par cette rencontre pour le moins
traumatisante avec les « Néfilim ». C’est donc sur cette anomalie que nous avons
voulu nous arrêter cette semaine. Toutefois, avant de nous engager plus en
avant, rappelons brièvement qui étaient ces géants et ce qu’ils faisaient en
terre d’Israël…
Les géants de ‘Hébron On trouve la première mention des «
Néfilim » dans le Séfer Torah à la fin de la paracha Béréchit, lorsqu’il est dit
: « Quand les hommes eurent commencé à se multiplier sur la terre et que des
filles leur naquirent, les fils d’Elokim virent que les filles de l’homme
étaient belles et ils se les prirent pour femmes de tout ce qu’ils se
choisissaient. (…)
Les Néfilim parurent sur terre à cette époque et même
ensuite, lorsque les hommes de D.ieu se mêlaient aux filles de l’homme et
qu’elles leur donnaient des enfants.
Ceux là furent les hommes forts (haGuiborim)
depuis toujours hommes de renom (Aneché haChem – littéralement : les hommes du
Nom- Ndlr) », (Béréchit, 6, 1-4). Même si certains commentateurs (tel Ramban)
identifient les « fils d’Elokim » aux enfants d’Adam et ‘Hava, d’autres sont
pourtant d’avis que cette expression désigne ces êtres spirituels qui
descendirent sur terre afin d’accomplir « une mission divine », (Rachi,
Béréchit, 6, 2).
Puisque le Targoum Yonathan ben Ouziël précise même que ces «
Néfilim » ne sont autres que les anges déchus : Cham’hazaï et Azaël… On peut
lire en effet dans le Midrach : « Les élèves de rav Yossef lui demandèrent ce
que représentait (MaHou) Azazel. Il leur répondit : ‘Lorsque fit rage la
génération du déluge et qu’elle pratiquait l’idolâtrie sans vergogne, le Saint
Béni Soit-Il s’attristait. Immédiatement deux archanges se levèrent : Cham’hazaï
[ou Ouza, selon les différentes versions-Ndlr] et Azaël.
Ils dirent : - Maître
du monde, n’avions-nous pas demandé alors que Tu créais l’homme : ‘Qu’est-il
pour que Tu t’en souviennes’ ? D.ieu leur dit : - Et d’après vous que devrait-on
faire de lui ? - Nous pourrions nous en débarrasser… D.ieu reprit : - Il ne fait
aucun doute que si vous résidiez vous-mêmes sur terre, le mauvais penchant vous
dominerait et vous seriez pires encore que l’espèce humaine !
Ils lui
répondirent : - Laisse-nous essayer ! Nous habiterons avec les êtres humains et
Tu seras surpris de voir de quelle manière nous sanctifierons Ton Nom. – Soit,
acquiesça le Tout- Puissant. Descendez, séjournez parmi eux ! Aussitôt, les
anges se laissèrent entraîner à la faute sans être capables de maîtriser leurs
instincts (…). Puis Cham’hazaï et Azaël mirent au monde deux fils : Ayouva et
Ayéya [ou selon la version du Traité talmudique Nida : A’hiya-Ndlr]. (…)
Plus
tard, l’ange Matatron envoya un émissaire qui dit à Cham’hazaï : D.ieu va
détruire le monde à cause de vos actes ! Aussitôt, celui-ci s’effondra en larmes
et s’inquiéta pour l’avenir du monde et de ses enfants. (…) Puis, il se
repentit, et se suspendit lui-même entre le ciel et la terre, la tête en bas et
les pieds en l’air. Jusqu’à aujourd’hui, il reste suspendu dans le repentir.
Mais Azaël ne regretta pas ses actes, et jusqu’à aujourd’hui, il perpétue ses
mauvaises actions, incitant les êtres humains à fauter.
C’est pourquoi le jour
de Yom haKippourim, les enfants d’Israël approchent pour sacrifices un bélier
pour l’Eternel afin qu’il apporte l’expiation de leurs fautes, et un bélier pour
Azazel afin que ce dernier endosse leurs fautes. Azaël, c’est Azazel que l’on
trouve mentionné dans le Séfer Torah’ », (Yalkout Chimoni, 44). Comme il est
écrit par ailleurs dans le Traité talmudique Yoma (page 67/b) : « On a enseigné
dans la maison d’étude de Rabbi Ichmaël : ‘Azazel apporte l’expiation des fautes
de Ouza et Azaël’ ».
Bien que ce Midrach mériterait une analyse plus en
profondeur, nous retiendrons seulement ici l’idée que les géants survécurent au
déluge (maboul), ainsi que l’enseigne par ailleurs le Traité talmudique Nida
(page 61/a), où il est dit que Si’hon, roi des Amoréens, et Og, roi de Bachan,
tous deux petits-fils de l’ange déchu Cham’hazaï restèrent en vie malgré le
déluge, et trouvèrent résidence en terre d’Israël.
Soit parce que, selon un
premier avis mentionné dans le Traité talmudique Zeva’him (page113/b), Erets
Israël n’aurait pas été submergée par les eaux de la désolation et Og s’y serait
réfugié ; soit parce que, selon le second avis, Og se serait accroché à l’arche
(téva !) que Noa’h avait construite (sur la question de savoir pour quelle
raison le géant Si’hon survécut et arriva en terre d’Israël, on se reportera à
l’explication proposée par le Maharcha, Traité Nida, Ibid.). Par ailleurs, bien
que nous n’ayons pas trouvé de référence sur la généalogie précise des derniers
survivants des géants mentionnés dans la paracha Chela’h Lékha - quand il est
dit : « Et les explorateurs arrivèrent à ‘Hébron où vivaient A’himan, Chéchaï et
Talmaï, les fils d’Anak » Bamidbar, 13, 22) -, le Ramban nous enseigne qu’ils
étaient eux-mêmes les descendants directs du géant nommé Arba (Josué, 15, 13)
qui, parce qu’il avait construit la ville de ‘Hébron et la dirigeait, lui donna
son nom de Kiriat Arba.
C’est lui qui mit au monde un fils qu’il nomma Anak,
lui-même père des trois géants précités.
Or, comme l’indique le Traité
talmudique Sota (page 34/b), les noms de ces trois géants expriment parfaitement
leur démesure puisqu’ils signifient respectivement : A’himan : « MiYoman chel
A’hiv – Celui qui se tient à la droite de ses frères » (c’est-à-dire, le plus
fort d’entre eux, d’après Rachi) ; Chéchaï : « ChéMassim et HaArets kéCha’htot –
Celui qui [à cause de son poids] laisse dans le sol des traces profondes comme
des fosses » (le mot Chéchaï, explique Rachi, venant du mot « Chaïch », le
marbre) ; enfin, Talmaï : « Ché- Massim et HaArets Telamim, Telamim – Celui qui
transforme la terre en autant de sillons (Telem) »… Vers la fin de l’exil… Dans
le Midrach Yalkout Chimoni (742), on peut lire la description d’un épisode pour
le moins surprenant. En effet, alors que les explorateurs étaient occupés à
couper des fruits dans la vallée d’Echkol (l’un des quatre noms que porte la
ville de ‘Hébron), ils attirèrent l’attention des trois géants qui y
séjournaient.
Talmaï s’approcha alors des explorateurs et poussa un cri qui les
fit tous s’écrouler au sol. « Ne seriez-vous pas venu pour déraciner les arbres
et les buissons que nous idolâtrons ?!, [leur lança- t-il]. Le monde pourtant
est tout entier la possession de votre D.ieu qui l’a donnée à qui Il a bien
voulu la donner ! – « Non !, répondirent les explorateurs [sous-entendu, nous ne
sommes pas venus pour abattre les arbres qui vous servent d’idoles-Ndlr] ». Et
le Midrach de conclure que les géants les laissèrent partir sains et saufs et
que, pour les récompenser de cet acte, D.ieu les laissa vivre jusqu’à l’exil du
dernier Temple…
Or, ce Midrach appelle une remarque. En effet, l’argument évoqué
par le géant Talmaï et grâce auquel il justifie son droit de propriété (et par
conséquent son utilisation) des arbres d’Erets Israël est celui-là même que
Rachi mentionne au nom d’un autre Midrach (Yalkhout Chimoni, 187) au tout début
du Séfer Béréchit, à savoir : « Lorsque les nations du monde diront à Israël :
‘Vous êtes des voleurs, car vous avez conquis par la violence les terres des
sept nations de Canaan !, le peuple juif répondra : ‘Tout le monde appartient au
Saint Béni Soit-Il ; Il l’a créé et l’a donné à qui est droit à ses yeux. Par sa
volonté Il le leur a donné et par Sa volonté Il le leur a repris, et nous l’a
donné’ ! ». Afin de répondre à cette anomalie, il convient tout d’abord de
rappeler que le triste épisode des explorateurs (méraglim) est celui qui
rouvrira la brèche fondamentale de l’exil d’Israël, fixant pour toutes les
générations à venir la date du 9 Av (Ticha béAv) comme celle des malheurs
qu’endura notre peuple jusqu’à sa délivrance future - rapidement et de nos
jours.
Au point que cette rencontre des explorateurs avec les géants d’Erets
Israël ne semble pas fortuite, loin s’en faut ! Car l’arrivée des enfants
d’Israël devant effectivement coïncider avec la réalisation de la promesse faite
à Avraham Avinou de « posséder le pays de Canaan », cette « alya » du peuple
juif ne signifiait rien d’autre que l’accomplissement du projet divin initial.
Or, confrontés à la découverte des bénédictions « démesurées » qui les
attendaient en terre d’Israël, les explorateurs prennent peur… Ils doutent de
leur capacité à pouvoir intégrer de telles dimensions ! Les refoulant dans leur
imaginaire, ils se montrent incapables de s’élever à cette « hauteur » qui les
attend en Erets Israël, au point où, comme l’écrit le Psalmiste, « VaImassou
béEretz ‘Hemda [Ils montrèrent du dédain envers un pays délicieux] », (Psaumes
106, 24). C’est pourquoi, il ne serait pas faux d’affirmer que la confrontation
avec les « Bné Anakim » - ces « géants d’Israël » - constitue en quelque sorte
l’obstacle que le Tout-Puissant plaça devant son peuple afin de tester sa émouna
(sa confiance en D.ieu) et comme condition de sa résidence sur la Terre de la
promessee.
En effet, comme le souligne l’élève du Ram’hal, le rav Moché David
Vali, dans son ouvrage « Chivté Y-H » (Bamidbar, pages 125 sq.), « la question
se pose de savoir pour quelle raison le Créateur estima nécessaire d’amener à
l’existence de telles réalités, à savoir des archanges littéralement tombés du
ciel sur la terre afin d’accomplir des exactions qui sont pourtant le propre des
êtres humains. S’ils désiraient accuser l’espèce humaine, D.ieu n’avait-Il pas
le pouvoir, Lui qui est le Maître absolu, de les faire taire et de les obliger à
accomplir Sa seule et unique Volonté ?!
Mais telle me semble être, à mon humble
avis, la réponse à cette question : D.ieu ayant créé les archanges, Il les fit
tels des souffles dévastateurs et flamboyants, sans aucune mesure avec le genre
humain.
Au contraire, en vertu de leur sainteté même et de leur prestige, ces
créatures célestes l’ayant en horreur, si D.ieu ne les avait pas fait tomber du
ciel jusque dans cette terre indigne de leur prestance, ni ne les avait laissé
commettre les mêmes crimes que ceux perpétués par les hommes, jamais l’espèce
humaine n’aurait pu subsister une seule seconde devant la réprobation des anges
! Mais désormais, après avoir eux-mêmes expérimenté que vivre sur terre était
synonyme d’une irrémédiable confrontation à la transgression, les anges
renonceraient à leur accusation.
Mieux, ils changeraient leur inculpation en un
magnifique plaidoyer, au point de soutenir devant le Saint Béni Soit-Il qu’il
est juste de pardonner leurs exactions aux habitants de ce monde fait de
matière, car c’est bien elle qui en est la cause ».
L’argument sur lequel les
géants rencontrés par les explorateurs fondent leur accusation prend maintenant
tout son sens : la possession de la terre d’Israël n’obtient sa légitimité que
pour autant où elle est en accord avec la Volonté divine : « Aujourd’hui,
disent-ils, c’est à nous qu’Il l’a donnée ; prouvez- nous que vous valez mieux
que nous, que vous êtes droits à Ses yeux et que c’est par Sa volonté qu’Il nous
la reprend pour vous la donner. Car si tel est effectivement le cas, sans aucun
doute, nous vous laissons la place… ».
Par Yehuda Ruck
Source Chiourim