mercredi 24 juin 2015

Victimes de la Shoah : l’accord d’indemnisation en discussion à l’Assemblée


La France doit-elle indemniser les victimes étrangères de l’Holocauste transportées par la SNCF entre 1942 et 1944 ? Oui, estime Élisabeth Guigou. La présidente de la commission des affaires étrangères à l’Assemblée rappelle que la France, par la voix de Jacques Chirac le 16 juillet 1995, a reconnu la responsabilité de l’État français dans la déportation et l’extermination de juifs. "Notre pays a eu l’intelligence collective d’avancer sur ce sujet pour apaiser les souffrances", explique la députée. L’heure serait donc venue de "de clore la controverse"...


Ce débat divise pourtant l’hémicycle. Des élus, principalement de droite, se disent "choqués" par une telle compensation.
"La République française peut reconnaître les crimes de Vichy, mais ne peut pas être considérée comme débitrice, coresponsable de ces crimes", s’emporte Pierre Lellouche, député les Républicains de Paris.
"Mon père se retournerait dans sa tombe s’il avait connaissance de ce texte", enrage Patrick Balkany, dont le père immigré juif hongrois a été déporté à Auschwitz.

Pourquoi cette indemnisation ?

Le 8 décembre 2014, la France a signé un accord avec les Etats-Unis, prévoyant la mise en place d’un fonds de 60 millions de dollars, géré par les autorités américaines, ouvert aux ressortissants des États-Unis ou d’autres pays non couverts par d’autres régimes d’indemnisation.
Dans le texte, il est stipulé que cet accord constitue un "moyen définitif, global et exclusif de répondre à toute demande ou toute action qui pourrait être entreprise, aux États-Unis, contre la France" ou contre des entreprises et entités publiques françaises au titre de la déportation liée à la Shoah depuis le territoire français.
Il faut dire qu’aux Etats-Unis, la Sncf se heurte depuis plusieurs années à une hostilité locale grandissante à chacune de ses tentatives d’implantations outre-Atlantique. Des élus américains dénoncent le rôle de la SNCF durant l’Holocauste et réclament purement et simplement que l’entreprise soit interdite sur le sol américain tant qu’elle n’a pas clarifié son rôle.
Pour la compagnie ferroviaire, les enjeux financiers sont énormes. En 2010, elle se porte candidate pour la construction de la future ligne Sacramento-San Diego.
Montant du contrat : autour de 45 milliards de dollars ! Problème : au même moment, le Parlement californien vote une loi qui oblige les compagnies à s’expliquer sur leur rôle éventuel dans le transport des victimes vers les camps de concentration… L’histoire se répète en Floride fin 2010 : pour relier Orlando à Tampa, la Sncf se heurte à la fronde de survivants de la Shoah. "Pourquoi cette compagnie mériterait-elle mes impôts alors qu’elle a coopéré avec les nazis et laissé ses trains transporter des personnes pour qu’elles soient assassinées ?", s’interroge l’un d’eux.
Conscient du danger, Guillaume Pepy, le président de la Sncf, a bien tenté d’éteindre l’incendie en reconnaissant, en janvier 2011, que sa compagnie fut un "rouage de la machine nazie d’extermination". Insuffisant, pour les familles de victimes qui, en 2014, feront à nouveau pression sur la compagnie française qui tente d’obtenir un contrat de 6 milliards de dollars dans le Maryland.
Plus récemment encore, le 16 avril 2015, des descendants de victimes de l’Holocauste ont lancé une action de groupe pour avoir « saisi, et de concert avec les Nazis, aidé, encouragé et conspiré » à saisir les biens de dizaines de milliers de personnes transportées vers les camps nazis".
C’est dans ce contexte sensible que l’accord franco-américain arrive mercredi dans l’hémicycle. Si le texte est adopté, les autorités américaines se sont engagées en contrepartie à défendre la France contre toute nouvelle action judiciaire.

Lorenzo Calligarot
Source Lcp