mardi 28 juillet 2015

Le combat désespéré mais essentiel des Juifs d'Europe


Edmund a dix-sept ans. En quelque mois, l'adolescent à lunettes, brillant lycéen tiré à quatre épingles, a mué en un jeune homme agile et vif, au visage hâlé, aux larges épaules et aux mains calleuses de paysan. Que s'est-il passé chez ce citadin fils d'une famille de la bourgeoisie juive ukrainienne, aujourd'hui vêtu d'un grossier manteau en peau de mouton ? « Depuis que j'ai rejoint les combattants, je suis méconnaissable », révèle le garçon entre effroi, exaltation et culpabilité...

 
Si, dans « Les Partisans », Aharon Appelfeld semble engager le lecteur sur la voie du roman d'initiation - à l'instar du Sinclair de Hesse (« Demian ») - ce n'est là qu'une des pistes tracées dans un récit où l'auteur une fois de plus mobilise magnifiquement son style propre de narration, à la fois épuré et coup de poing, et où l'action au quotidien nourrit la réflexion sur les mythes et les valeurs.
La marque d'un écrivain qui, à plus de quatre-vingts ans, a produit une vaste fresque sur les Juifs d'Europe largement inspirée par sa propre vie d'enfant déraciné, persécuté, déporté et évadé avant de rejoindre Israël.
Nous voilà cette fois entraînés avec Edmund dans le maelström tragique de la fin de la Seconde Guerre mondiale, en Ukraine.
Délaissé par son premier amour Anastasia, l'adolescent a quitté ses parents, a fui le ghetto et les rafles pour rejoindre une petite troupe traquée dans la campagne par les patrouilles allemandes et rejetée par des paysans hostiles.
Il y a là l'ascétique commandant Kamil, architecte, et son second Felix, violoncelliste ; le gamin miraculé Milio, mascotte couvée par le géant Danzig ; l'aïeule Tsirel, mémoire des traditions et filiation ; Karl, le communiste athée… Une cinquantaine d'âmes aux lourds secrets, réplique miniature d'un peuple de nouveau condamné à l'errance.
Retranchée au sommet d'une cime enneigée, la tribu grossit au fil des attaques qu'elle lance contre les trains filant vers les camps de la mort. Combat désespéré mais essentiel.
On vole, on brûle, on tue, on meurt. On souffre et on pleure. Mais on s'interroge, on débat, on rêve, on chante… Comment ne pas tomber dans l'animalité ? Comment renouer avec des racines oubliées que les autres vous retournent dans la violence et la haine ? Et que faire quand, une fois venue la libération - par l'Armée rouge -, résonnent à nouveau les injures et l'ostracisme aux oreilles des survivants ? Où aller ? « A la maison. » Certes, mais « quelle maison ? »

Les Partisans (d'Aharon Appelfeld, traduit de l'hébreu par Valérie Zenatti, Editions de l'Olivier, 320 pages, 22 euros.)

Claude Vincent
Source Les Echos