mardi 6 octobre 2015

Le festival d’Acco, entre art et politique



Acco. Nord d’Israël. Douce soirée d’automne. Des contorsionnistes se balancent en l’air sur un trapèze. Du haut de leur balançoire fixée à dix mètres du sol, ils regardent du coin de l’œil le public émerveillé qui s’est amassé autour d’eux, composé d’enfants, de parents, de badauds juifs, arabes, religieux, hippies… Tous ont les yeux qui brillent en regardant le show de ces artistes aériens...




Comme chaque année, durant la fête des cabanes (Souccot), c’est une population très mixte qui est venue s’enthousiasmer pour les comédiens et les baladins, invités à se produire au festival de théâtre de Saint Jean d’Acre, l’autre nom de la ville, fière d’avoir résisté à la tentative d’invasion de Napoléon lors de la campagne d’Egypte en 1799.
Créé il y a 36 ans, le festival est une plate-forme unique en Israël pour les jeunes compagnies de théâtre. Les artistes de rues accompagnent une sélection de neuf spectacles en compétition, sélectionnés par la direction du festival.


" Spectacle de rue au Festial de Acco "


Seules les créations originales sont invitées à s'y produire. A cette occasion, c’est tout le petit monde du théâtre qui est en effervescence. Auteur, metteur en scène, scénographes… tous se plient en quatre pour proposer le travail le plus abouti possible.
Contrairement aux grands théâtres du pays (appelés en Israël "théâtres de répertoire"), les créations théâtrales proposées à Acco se veulent avant tout alternatives, et si elles n’ont pas toutes vocation à distraire, elles ont le mérite de questionner la société israélienne, dans des formes toujours plus novatrices.


" Spectacle pour enfant à Acco "



"En tant qu’artiste, nous avons un regard décalé sur vie en Israël. Le conflit israélo-palestinien évidemment, mais aussi l’héritage de la Shoah, le poids des mythes de l’histoire israélienne contemporaine, ou encore la transformation du pays en monstre capitaliste, sont autant de sujets qui nous interrogent. Pour cela, le festival d’Acco est une occasion unique pour poser ces questions-là dans nos spectacles", explique Yona, qui a participé plusieurs fois en tant qu’acteur au festival.
Acco accueille également des troupes venues de l’étranger. Alors que le BDS fait pression auprès des artistes du monde entier pour qu’ils ne se produisent pas en Israël, des compagnies de Macédoine, de République Tchèque ou encore le fameux artiste américain John Moran ont fait fi de ces campagnes de boycott et ont décidé cette année de répondre à l’invitation qui leur a été faite.
"Les artistes qui sont venus sont ravis d’être ici, et même surpris par le dynamisme du théâtre israélien", explique Sigal Weisbein-Roseman, en charge de la "plateforme internationale" du festival.



" Practice makes perfect ", spectacle sur la perception du handicap, prix de la meilleure performeuse pour Natalie Zuckerman


Cette structure qui a été lancée cette année vise à créer un pont entre les artistes israéliens et étrangers.
"Israël est isolé géographiquement, donc la présence de spectacles venues du monde entier à Acco est une aubaine, non seulement pour le public, mais aussi pour les artistes", explique-t-elle.
"Au lieu de parler de ce qui se dit dans les journaux, il est important que les artistes viennent ici pour voir ce qu’il se passe, voir ce qui intéresse les gens en Israël, ce qui les préoccupe".


" Un chanteur de rue à Acco "


Mais cet appel n’a pas été entendu par tout le monde. Sigal Weisbein-Roseman explique avoir eu des échanges avec des artistes qui ont refusé de venir au prétexte qu’ils sont "contre la guerre et contre la colonisation".
"Ces gens-là ne comprennent pas que toutes les personnes qui viennent participer ou assister au festival ne sont pas tous +pour la guerre+, et que la réalité est bien plus complexe", glisse-t-elle malicieusement, pointant du regard, les festivaliers, allongés sur une pelouse, discutant des spectacles auxquels ils ont assisté.


" Acteurs qui se reposent entre deux représentations à Acco "


"Si ces artistes ont un avis sur la question, venir ici est une occasion de le partager, d'écouter celui des autres, et d’avoir un aperçu de ce qu’il se passe réellement", explique Sigal Weisbein-Roseman.
Pour elle, "ne pas venir est une sorte d’acte virtuel, parce qu’en réalité, personne ici à Acco ne sait qui n’a pas voulu venir. Ces personnes ont juste fait un acte envers eux-mêmes, qui n’a aucune portée. Ils ont voulu être actifs, mais n’ont été que passifs".
"J'ai dit à ces artistes : +vous manquez une occasion de venir dans un endroit où il y a une liberté d’expression, une liberté artistique et une liberté politique. S’il y a bien un lieu en Israël où il est possible de tout faire, de tout dire et sous toutes les formes, c’est bien à Acco", confie-t-elle.
Un autre objectif de la plateforme est d’exporter les spectacles israéliens à l’étranger.


" Festival Acco "


"Il est important pour les jeunes Israéliens d’aller se produire ailleurs. D’abord parce qu'Israël est petit, et que le public est par conséquent limité. Mais aussi, parce que la rencontre avec des créateurs d’autres pays est une source d’inspiration importante pour les jeunes artistes, dans le sens où cela permet de développer leur créativité et d’avoir d’autres points de repères. Et puis, Israël est un vivier de talents qui ont besoin d’une scène plus large".
L’occasion sera belle alors pour que trapézistes et autres jeunes artistes israéliens se produisent sous d’autres cieux, à la rencontre d’un public qu’aucun boycott ne saurait contrarier.


Jérémie Elfassy


Source I24News