vendredi 9 octobre 2015

Paracha Béréchit : La bénédiction des jeunes mariés

       
C’est lors du récit de la Création du monde, que nous assistons à la toute première bénédiction divine, celle que le Tout-puissant réserva au dernier couple de l’univers à avoir vu le jour : celui de l’homme et de la femme. L’occasion donc de revenir sur ce que l’on a la coutume d’appeler « la bénédiction des jeunes mariés » (Birkat ‘Hatanim)...


C’est en effet en référence au célèbre verset : « D.ieu les [l’homme et la femme] a bénis, et D.ieu leur a dit : ‘Fructifiez et multipliez-vous, et remplissez la terre…' » (Béréchit 1, 28) que nous apprenons l’origine du commandement de la bénédiction des mariés (Birkat ‘Hatanim). Puisque, comme l’enseigne rabbi Abahou, c’est à cette occasion que « le Saint béni soit-Il prit un verre de bénédiction (Koss chel Berakha) et les bénit. Rabbi Yehouda bérabbi Chimone ayant ajouté que les anges Mikhaël et Gavriel étaient eux-mêmes les garçons d’honneur (Chochvinin) d’Adam haRichone. Ainsi, conclut rabbi Samlaï, nous apprenons que le Saint béni soit-Il accorda sa bénédiction aux jeunes mariés » (Béréchit Rabba, 8, 13).


7 bénédictions

Cette bénédiction, détaillée dans le Traité talmudique Ketouvot, p.8/a, se compose elle-même de 6 formes particulières de célébrations qu’accompagne la bénédiction sur le vin : « Boré Péri haGuéfen – Source de bénédictions, Tu es l’Eternel qui a créé le fruit de la vigne », conformément au Midrach précité qui enseigne que D.ieu leva Sa coupe et bénit les jeunes mariés en disant : « Fructifiez et multipliezvous, et remplissez la terre… ». Or, les 6 bénédictions restantes se divisent elles-mêmes en deux groupes de 3 bénédictions, mettant ainsi en lumière deux dimensions distinctes à travers lesquelles se constituent et s’accomplissent les liens du mariage.
Le premier groupe, constitué des bénédictions : 1. « ChéhaKol Bara LiKhvodo – Source de bénédictions, Tu es l’Eternel qui a tout créé pour Sa gloire »/ 2. « Yotser haAdam – Source de bénédictions, Tu es l’Eternel qui a créé l’homme » et 3. « Acher Yatsar èt haAdam BéTsalmo béTsélem Dmout Tavnito… – Source de bénédictions, Tu es l’Eternel qui a façonné l’homme dans Son moule, dans le moule du modèle de Son empreinte », souligne en effet l’idée que cette rencontre entre l’homme et la femme que nous célébrons à travers leur mariage est toujours placée sous le signe de la création originelle et universelle du premier homme, c’est-à-dire de l’humanité tout entière. De ce point de vue, les liens qui unissent l’homme et la femme ont un caractère permanent qui échappe à leur propre détermination singulière (Néélam), puisque – qu’ils le veuillent ou non – ces liens se poursuivent même lorsque le couple est séparé, c’est-à-dire malgré la période de « Nida », cette impureté périodique qui touche la femme et l’interdit à son mari.
Car même durant cette période, le couple n’est pas concerné par l’interdit de Yi’houd (cette situation d’isolement entre un homme et une femme qui ne sont pas liés par des liens de parenté directs comme une femme avec son père, son grand père, et éventuellement son frère, et qui apparaît chaque fois que ceux-ci se trouvent dans un lieu qui permettrait un rapprochement sans être vu par une tierce personne) ; il vit conformément au projet divin qui décréta cette unité imprescriptible qui fut la sienne lors de l’apparition du premier homme…
Quant au second groupe, il comprend les 3 bénédictions suivantes : 5. « Soss Tassis… MéSaméa’h Tsion béBanéha – Elle se réjouira… Source de bénédictions, Tu es l’Eternel qui réjouit Tsion et ses enfants »/ 6. « Saméa’h TéSama’h… MéSaméa’h ‘Hatan véKala – Dans une joie durable… Source de bénédictions, Tu es l’Eternel qui réjouit le fiancé et la fiancée ».
Et enfin : 7. « Bara Sassone véSim’ha… Guila, Rina, Ditsa vé’Hedva, Ahava véA’hva, Chalom véRéout… MéSaméa’h ‘Hatan Im haKala – Qui a créé la gaîté et la joie… l’allégresse, le chant joyeux, la danse joviale et le bonheur, l’amour et la fraternité, la paix et l’amitié… Source de bénédictions, Tu es l’Eternel qui réjouit le fiancé avec la fiancée ». Or, parce qu’il concerne plus directement le couple dans sa singularité propre, ce second groupe révèle qu’en s’exprimant par ailleurs sous la forme d’une union directe bien qu’intermittente susceptible de renouveler la vie intime du couple, les liens qui unissent l’homme et la femme ont la capacité d’engager leur existence vers l’accomplissement parfait de leur réalité.
Au point où la septième bénédiction, qui comporte elle-même les 10 expressions de joie que nos Sages ont retenues pour clôturer les bénédictions du mariage, vient précisément rappeler et dévoiler que chacune des bénédictions précédentes exprime l’une des modalités nécessaires à l’unité du couple et à sa plénitude.
Déploiement de la sainteté et de l’accomplissement des 6 bénédictions précédentes, à travers le chiffre 10 qu’elle transmet, la septième bénédiction invite en effet à élever le couple à l’accomplissement de soi. Puisque, comme l’enseigne le Zohar (paracha Terouma, 169), la bénédiction divine nous parvient directement du « Mékor ha’Haïm », c’est-à-dire de la source même de la vie. Or, partout dans notre tradition où il est question du chiffre 7, c’est toujours en référence avec l’abondance divine, et à cette formidable possibilité offerte à la créature de se rattacher à une dimension qui la dépasse et qui lui assure son intégrité.
Comme cela ressort de son étymologie même, puisque le chiffre 7 se dit en hébreu « Cheva », en référence au radical « Savéa », l’assouvissement.
En résumé, les 7 bénédictions du mariage telles qu’elles ont été fixées par nos Sages expriment donc bien cette double dimension à travers laquelle s’engagent les jeunes mariés, à savoir d’une part la perpétuité de la figure universelle et inaltérable du premier homme, et d’autre part la réalisation effective de leur existence commune singulière.
Or, ce destin qui attend le nouveau couple est lui-même le lieu où s’exprime la bénédiction divine, puisqu’au travers de l’injonction de fructifier et de se multiplier, c’est la plénitude de l’être même qui se dévoile.


Une semaine de bénédictions

On ne saurait toutefois aborder le thème de la bénédiction des jeunes mariés, si l’on ne rappelait pas par ailleurs que celle-ci doit impérativement être célébrée à l’occasion d’un repas de fêtes (Michté) 7 jours durant. C’est en effet ce que déduisent les « Pirké déRabbi Eliézer » (chapitre 16) d’un passage du livre des Juges (Choftim 14, 11) où il est dit qu’à l’occasion de son mariage avec Timna, « Chimchone donna un festin, selon les usages des jeunes gens – Ki ken Yaassou ha- Ba’hourim ». Par extension, ajoute le texte, il existe une analogie de droit entre le jeune marié (‘Hatan) et le roi (Mélekh), puisque, dit-il : « De la même manière qu’un Mélekh porte des vêtements éclatants (Bigdé Kavod), ainsi le ‘Hatan sera vêtu de somptueux habits pendant les sept jours de fêtes. Et de même que tous chantent la louange du Mélekh, ainsi tous célèbreront le ‘Hatan pendant les sept jours de festin.
Enfin, de même que le visage du Mélekh resplendit comme la lumière du soleil, ainsi en est-il du visage du ‘Hatan, comme il est dit : ‘Il est comme un jeune marié sortant de-dessous le dais nuptial' (Téhilim 19, 6) ».
Au bout de cette semaine de réjouissances, ce sont donc en tout et pour tout 49 (7x7) bénédictions qui accompagneront la création du nouveau couple. Un chiffre que l’on retrouve à nombreuses reprises dans la Torah et qui exprime toujours l’idée même de totalité et de plénitude…
Et pour cause : car si nos Sages ont estimé nécessaire que cette consécration des jeunes mariés se déroule tout au long d’une semaine, c’est bien parce qu’ils ont vu que, pour atteindre à sa plénitude authentique, cette bénédiction divine qui accompagne l’union de l’homme et de la femme devait nécessairement passer par les différentes formes d’existence propres à chacun des jours formant le cycle plein d’une semaine, c’est-à-dire par cette durée propre à l’essence même de la temporalité de l’OEuvre de la Création, soit 6 jours et un Chabbat.
Pourtant, parce que le déroulement effectif des 7 jours de bénédictions ne correspond pas forcément à l’ordre de la temporalité telle qu’elle apparut lors de la Création du monde (à savoir dimanche, lundi, mardi… Chabbat), force nous est de reconnaître que ce qui se joue dans cette semaine de réjouissances a pour but de nous inviter à mettre en relation ces deux dimensions distinctes mais complémentaires de l’existence humaine que nous avons déjà mentionnées.
L’apparition d’un nouveau couple à l’image du premier homme ne saurait en effet être assurée dans sa perfection si elle ne comprenait pas ellemême une référence directe à cette temporalité qui fut celle de l’OEuvre de la Création. Certes, la singularité propre à la créature humaine est synonyme d’une autonomie relative, mais son expression authentique ne saurait être assurée tant qu’elle ne se rapporte au modèle auquel elle doit précisément son existence d’être libre.
Tel nous semble le sens de l’analogie établie par le passage des « Pirké déRabbi Eliézer » précité entre le ‘Hatan et le Mélekh, dans la mesure où celui-ci n’accède à cette qualité qu’en vertu du fait où il se fait le digne réceptacle d’une surdétermination métaphysique, source de prospérité. De même, le but des bénédictions « Yotser haAdam » et « Acher Yatsar èt haAdam BéTsalmo béTsélem Dmout Tavnito… » est, nous l’avons vu, de rappeler – au lieu même de la constitution du nouveau couple –, la dimension universelle de l’homme créé par D.ieu, garant de son accomplissement singulier. Ainsi en est-il des 7 jours de festin exigés par nos Sages.
Ils jouent le même rôle de renvoi à l’universel. Puisqu’en se référant de la sorte à cette temporalité qui revient pour ainsi dire sur elle-même pendant 7 jours, les 7 bénédictions des mariés installent dès ses premiers instants la vie du couple dans une temporalité pour ainsi dire absolue, celle de la Création, qui comprend en elle-même le déroulement total de l’Histoire humaine. Mieux, elles offrent de la sorte un fondement métaphysique à tout ce que le couple sera susceptible de dévoiler par la suite, inscrivant son existence sous le régime de l’éternité.


L’homme universel

Il nous reste encore à expliquer la signification d’une troisième et dernière condition qui valide la bénédiction des jeunes mariés, à savoir le fait que ces réjouissances doivent nécessairement avoir lieu en la présence de 10 hommes. Le Traité talmudique Ketouvot, p.7/b enseigne en effet – soit en référence à l’histoire de Boaz et Ruth, plus particulièrement du verset : « Puis Boaz prit dix hommes d’entre les anciens de la ville… » (Ruth 4, 2) ; soit que nous l’apprenions du verset qui stipule : « En groupes, bénissez D.ieu ! Bénissez D.ieu, source d’Israël ! » (Téhilim 68, 27) – que la bénédiction des jeunes mariés doit être prononcée en présence d’une assemblée d’au moins 10 personnes.
Or, comme nous l’avons vu, l’apparition d’un nouveau couple homme/ femme n’est jamais l’élaboration d’une entité singulière fermée sur elle-même. Puisqu’au contraire, à l’image du couple formé par le Tout-puissant lors de la création de l’humanité et qui, rappelons-le, a d’abord été créé unitaire avant d’être séparé (Néssira) – ainsi que l’enseigne Rachi au nom de la Guémara sur le verset : « Mâle et femelle, Il les créa » (Béréchit 1, 27), « D. ieu ayant d’abord créé l’homme avec deux faces (Chné Partsoufim) lors d’une première création, avant de les séparer » –, les époux n’accèdent à l’unité authentique de leur nouvelle réalité que pour autant où ils sont eux-mêmes porteurs d’une référence à l’Assemblée d’Israël (Klal Israël) comprise en essence dans la réalité adamique ; comme il est dit : « ‘C’est vous l’Homme – Atem Krouim Adam' (Yé’hézkiel 34 ; 31), c’est vous qui portez le nom de l’homme, non les nations » (Traité talmudique Yévamot, p.61/a).
Ainsi, lorsque nos maîtres ont exigé que les bénédictions des jeunes mariés soient prononcées en la présence de 10 hommes, ils ont voulu rendre visible l’idée que le lien entre l’aspect masculin et féminin de la création ne peut être compris sans une référence à la totalité unifiée qu’il suppose.
C’est pourquoi, l’une des conséquences directes de cette exigence oblige à ce que chaque jour, apparaissent des « Panim ‘Hadachot » – littéralement des « nouveaux visages » qui n’ont pas encore pris part aux réjouissances des jeunes mariés et qui, par leur présence (même celle d’un inconnu !), permettront l’élaboration accomplie de ce modèle de l’humanité que représente un minyane de 10 personnes.
Unification de cette figure propre à l’Assemblée d’Israël (Klal Israël) à celle du couple singulier, ce n’est pas pour rien si les versets d’où la Guémara a extrait la référence à cette prescription rabbinique traitent respectivement de la naissance du Messie et de la royauté d’Israël.
Car, en rendant possible la récitation des 7 bénédictions, cette mise en miroir du couple singulier fraîchement constitué et de la figure universelle de l’homme a précisément pour but d’inaugurer l’établissement pour la Présence divine (Chékhina) d’un lieu de résidence encore inexploré et qui s’éveille pourtant à l’occasion de toute cérémonie nuptiale, comme il est dit : « C’est aujourd’hui que j’arrive (…) Si vous écoutez Ma voix, aujourd’hui» (Psaumes 95, 7) » (Traité Sanhédrin, p.98/a)...



Par Yehuda Rück


Source Chiourim