vendredi 5 mars 2021

Paracha Para : Les mêmes moyens mais pas les mêmes objectifs


Le Chabbat qui précède celui qui annonce le mois de Nissan, nous lisons, en supplément de la section chabbatique, le passage relatif à la para adouma, la vache rousse, dans Bamidbar ch.19 ver.1 à 22.  C’est pourquoi il est appelé Chabbat Para. Seule l’eau lustrale obtenue par le mélange des cendres de la vache rousse à de l’eau vive pouvait purifier de l’impureté afin de pouvoir consommer le sacrifice pascal dans l’enceinte du Temple. Et bien que nous n’ayons plus ni Temple ni culte des sacrifices, cette lecture nous sera comptée comme si nous avions accompli cette loi....

 
 Les commandements se divisent en trois catégories :
 1/ les mitsvot « méîdot » (qui témoignent) de Celui qui les a ordonnées, telles que le Chabbat, ou le port des Téfiline placés en regard des deux organes responsables des intentions et de la volonté : on ajuste un boîtier sur le muscle de l’avant-bras gauche vis-à-vis du cœur, on enroule la lanière 7 fois autour du bras, et avant de l’enrouler autour de la main gauche, on ajuste celui de la tête, puis on termine d'attacher celui de la main. Ces deux actions, faites simultanément, symbolisent que nous lions le sentiment à la raison.
 2/ les mitsvot « sikhliyot » (conformes à la raison) ou préceptes, telles que l’interdiction de mentir, de voler, de tuer, ou le respect des droits d’autrui.
 3/ les « ‘houqim » (décrets) dont la compréhension dépasse la limite de notre intelligence, tels que l’interdiction de chaâtnèz (mélange textile de lin et de laine), de kilaïm (mélange des espèces végétales) de bassar vé’halav (consommation de viande et de lait ensemble), ainsi que le statut de la loi de la para adouma (la Vache Rousse).
 Cette dernière catégorie de statuts est impénétrable pour l’esprit humain et fait partie des mitsvot irrationnelles de la Torah. Le mot ‘hoq fait allusion à l’idée de barrière, selon le Psaume de David 148/6 « ‘hoq natan vélo yaâvor » (la barrière que forme) le décret qu’Il a ordonné ne doit pas être franchie ». Hachèm connaît les faiblesses de l’être humain, dont la plus grande est celle de se prendre pour D’.
S’il avait la faculté de tout comprendre, il en arriverait à croire qu’il est lui-même le créateur ; par ailleurs, l’histoire nous a appris que chaque fois qu’un empereur se grisait de ses victoires, il se prenait lui-même pour un D’, et ceci marquait le début de sa chute. Un Midrach rapporte que le roi Salomon connaissait la raison et le sens de toutes les lois, mais lorsqu’il voulut comprendre le sens de l’institution de la para adouma il dut reconnaître : « tout cela, je l’ai expérimenté avec sagacité ; je disais : je voudrais me rendre maître de la sagesse ! Mais elle s’est tenue loin de moi. (Eccl.7/23) »
En lisant le passage relatif à la Para Adouma « zot ‘houqat haTorah - ceci est le statut » nous réfléchirons à l’enseignement qui s’en dégage : d’une part la petitesse de l’être humain et la grandeur de D’ , d’autre part le pouvoir donné à l’homme de modifier le statut d’un être humain en état d’impureté (qui ressemble à la mort) en un nouvel être (le faire renaître), mais qu’il doit respecter la limite qui lui est imposée afin de ne pas s’attribuer un pouvoir qui le dépasse. 
Dans la Mischna (Megilla III, 4) on apprend que le passage de la vache rousse doit être lu non seulement dans l’ordre normal des sidroth, mais aussj en supplément de la sidra courante, le sabbat qui précède la néoménie de Nissan, si cette dernière tombe un samedi, et deux sabbats avant le début du mois de Nissan si ce début tombe un jour de semaine.
Le samedi caractérisé par la lecture en supplément du passage de la vache rousse est appelé shabbat para..
On comprend la nécessité de rappeler les lois de pureté peu avant Pessa’h. Tout le peuple participait obligatoirement au sacrifice pascal, or ce dernier ne pouvait être apporté et mangé qu’en état de pureté Une raison majeure seule permettait d’apporter le sacrifice pascal le 14 Iyar, « Et l’Eternel parla à Molse en Ces termes:  Parle aux enfants d’Israél:
"Si quelqu’un se trouve souillé par un cadavre ou sur une route éloignée, parmi vous ou vos descendants, et qu’il veuille faire la Paque en l’honneur de l’Eternel, c’est au deuxième mois, le quatorzième jour, vers le soir qu’ils le feront, ils la mangeront avec des azymes et des herbes amères, n’en laisseront rien pour le lendemain, et n’en briseront pas un seul os ils suivront à son égard1 tout le rite pour la Pêque. (Nombres LX, 9-12).
En dehors de Ces cas exceptionnels, tout le monde devait se purifier avant le 14 Nissan pour pouvoir fêter Pessa’h en son temps. Pour l’homme qui, étant pur et n’ayant pas été en voyage, se serait néanmoins abstenu de faire la Pêque, cette personne sera retranchée de son peuple: puisqu’il n’a pas apporté en son temps le sacrifice du Seigneur, cet homme portera sa faute "(Nombres IX, 13).
Avec la destruction du Temple, les lois de pureté et d’impureté, à la suite du contact d’un mort, ont disparu.
Nous n’en continuons pas moins de rappeler le cérémonial de la vache rousse chaque année au sabbath para. Le maintien du sabbat para s’explique par la nécessité de ne point oublier dans l’exil les lois dont l’exécution est impossible sans Temple ou en dehors d'Erets Israel . Comme l’exprime Raschi: " Même quand vous serez dans l’exil, distinguez-vous par les commandements... qu’ils ne vous soient point neufs quand vous retournerez "en Erets Israel ". (Raschi, Deutéronome XI, 18).
La seule façon de se distinguer par les Commandements dont l’exécution est actuellement impossible, est de les étudier.
Quels que soient les détails des diverses explications données, tout le monde est d’accord. La vache rousse doit éveiller en nous des notions de pureté morale et religieuse. L’importance de cet enseignement aurait suffi en dehors de l’argument ci-dessus pour maintenir le sabbat para dans l’exil, d’autant plus que cet enseignement est complété par celui de la haphtarah, spéciale à ce samedi (Ezéchiel, XXXVI, 16-18).
"Et j’épancherai sur vous des eaux pures afin que vous deveniez purs de toutes vos souillures et de toutes vos abominations je vous purifierai. Je vous donnerai un coeur nouveau et je vous inspirerai un esprit nouveau. J’enlèverai le coeur de pierre de votre sein et je vous donnerai un coeur de chair. Je mettrai en vous mon esprit et je ferai en sorte que vous observiez mes statuts et que vous pratiquiez mes lois  (Ezéchiel XXXVI. 25-27).
 Le prophète Ezéchiel, d'origine sacerdotale, peut être considéré comme un spécialiste de la pureté, dont il fait la principale préoccupation de son message. Il n'est donc pas étonnant que nos sages aient choisi cet extrait de son livre pour compléter la lecture de la   paracha h'ouqat,  qui traite précisément de la fabrication de l'eau lustrale    à  partir de la «Vache rousse». A l'approche de la fête de   Pessah',  ces deux textes se complètent pour rappeler le devoir de purification physique et morale exigé pour la célébration correcte de cette solennité.
Si le passage de la «Vache rousse» semble viser l'impureté rituelle, en l'occurrence le contact avec un mort, la   haftara  fait état de l'impureté morale, consécutive à de graves fautes, comme le meurtre, la débauche sexuelle et l'idolâtrie. Ces deux causes d'impureté ont en réalité la même origine, le mépris et le refus de la parole divine. Tout manquement à la morale porte atteinte à l'honneur de Dieu, autant que la transgression d'un interdit rituel. Et c'est bien l'honneur de Dieu que met en jeu Ezéchiel, à travers cette notion d'impureté. Et puis, l'impureté consécutive   à  la mort n'est-elle pas, comme la faute morale et peut-être plus encore, ce qui peut conduire l'homme à la négation de Dieu et de sa providence?
C'est alors le texte d'Ezéchiel qui donnerait son véritable sens au rituel de l'eau lustrale. Celle-ci n'agit pas de façon magique puisqu'elle est susceptible de rendre pur ou impur; elle n'est que le signe, l'expression de la volonté d'un individu de se purifier. C'est ce que démontre notre prophète.
En effet, ce chapitre 36 s'inscrit dans une vision panoramique de l'histoire et de la vocation d'Israël, développée dans les chapitres 16, 20 et 21. Issu d'ancêtres païens, le peuple d'Israël est comme une petite fille abandonnée dans le désert dès sa naissance et recueillie par Dieu qui coupe son cordon ombilical, la lave, la lange, la nourrit et la fait grandir dans son giron. Devenue une belle adolescente, Dieu en «tombe amoureux»
et vit avec elle une idylle merveilleuse qui aboutit sous le dais nuptial, au mont Sinaï. Mais voilà que cette épouse devient infidèle, immorale, impure comme une femme dans sa période de menstruation.
Elle est alors rejetée, exilée parmi les nations qui s'empressent de la faire souffrir et de profaner Dieu en disant qu'il l'a chassée et qu'il est incapable de la faire revenir dans son pays; le peuple d'Israël devient la risée des nations, et à travers cette raillerie, c'est l'honneur de Dieu qui est bafoué. Pour réparer ce  h'iloul hachém, pour sauver son honneur, et non pas par le mérite d'Israël, Dieu rassemblera les exilés et les ramènera sur leur terre; il les purifiera de leurs fautes en les aspergeant d'eau pure, leur donnera un cœur nouveau et un esprit nouveau.
L'épouse repentie reviendra à son mari et l'alliance sera renouvelée pour l'éternité. «Les nations sauront alors que c'est moi, l'Eternel, quand je me sanctifierai par vous à leurs yeux» (v. 23).
 Les phrases clés sont répétées dans notre texte: «j'aspergerai sur vous des eaux pures et vous serez purifiés de toutes vos impuretés» (v.25). «Je vous donnerai un cœur nouveau et mettrai en vous un esprit nouveau» (v.26). «Je sanctifierai mon grand nom...» (v.23).
On perçoit aisément, dans ces citations la relation étroite entre le   quidouch hachém,   (la défense de l'honneur de Dieu) et la purification de l'homme. En se rendant impur par la faute, l'homme profane, souille le nom de Dieu et provoque un  h'iloul hachém.   En se purifiant de ses fautes, c'est-à-dire, en se repentant, il «sanctifie» le nom de Dieu. Rattachons à cette analyse l'idée que la véritable délivrance ne peut provenir que d'un changement radical de comportement, symbolisé par le cœur de chair et l'esprit nouveau et nous avons la quintessence du message d'Ezéchiel.
 Quant aux deux derniers versets, rajoutés dans le rite  ashkénaze,   ils font référence à l'époque messianique où la population qui viendra à Jérusalem pour les fêtes de pèlerinage   (bémo'adéha)   sera semblable à des «troupeaux humains» et la ville sainte retentira du bêlement des multitudes de moutons destinés aux sacrifices. L'annonce de  Pessah'    ne saurait être plus claire.

Source Netiv David