vendredi 17 juin 2016

Paracha Behalothekha : Décoder les plaintes et l'amertume de nos proches



Il est écrit dans la Paracha Béhaalotékha : « Le peuple affecta de se plaindre amèrement aux oreilles d’Hachem. Hachem entendit et Sa colère s’enflamma… »[1]. Alors que le peuple juif était sur le point d’entrer en Erets Israël, il se mit à se plaindre à Hachem – le verset ne nous précise pas tout de suite à quel propos. Rachi, sur la base du Sifri explique qu’en réalité, les Juifs n’avaient pas de doléance particulière, mais ils cherchaient un prétexte pour s’éloigner d’Hachem[2]...




Aussi, le Seforno écrit qu’ils n’avaient pas de raison valable de se lamenter, mais ils se montrèrent plaintifs quant à la difficulté du voyage.
Ces explications nous aident à comprendre pourquoi la Thora emploie le terme « kémit’onénim » ; ils étaient « comme » des pleurnichards, mais n’avaient pas de réels griefs.[3]
Nous déduisons de ce Sifri que l’on peut parfois formuler une plainte ou avancer un argument alors qu’en réalité, on ne croit pas ce que l’on dit. Cette critique n’est qu’une excuse qui justifie un comportement répréhensible. Dans le cas des mit’onénim, cette mauvaise conduite se manifesta dans le désir du peuple de se distancier d’Hachem.
Prenons l’exemple du débat entre Caen et Abel qui se termina par le meurtre d’Abel. La Thora nous informe que Caen parla avec Abel avant de le tuer. « Caen parla à Abel son frère et quand ils furent dans le champ, Caen se leva contre son frère, Abel, et le tua. »[4] La Thora ne nous renseigne pas sur le sujet de leur discussion. Le Targoum Yonathan affirme que Caen émit des propos de kefira (reniement, déni de D.), dit que D. n’existait pas et qu’il n’y avait pas de concept de récompense et de punition. Abel s’opposa et durant leur débat, Caen se leva et tua Abel.
Rav Issakhar Frand chlita demande pourquoi la Thora ne nous a pas fait part de ce débat philosophique qui semble fondamental, laissant à ‘Hazal le soin de fournir ces précisions. La Thora nous apprend que Caen ne parlait pas sincèrement, mais qu’il cherchait une manière d’entamer une dispute avec son frère.
La Thora s’est abstenue de nous révéler les propos de Caen, parce que leur contenu était sans importance. Ainsi, les arguments les plus passionnés sont parfois de simples écrans servant à cacher les réelles intentions.
On raconte que des ba’hourim de la yéchiva de Volozhin quittèrent cette institution et, par la suite, abandonnèrent l’observance de la Thora. Des années plus tard, ils abordèrent leur Roch Yéchiva, le rav ‘Haïm de Volozhin zatsal en lui disant qu’ils avaient des questions sur divers points fondamentaux en matière de pensée juive.
Avant de les laisser les exposer, il leur répondit : « Avez-vous des questions qui vous ont poussées à délaisser le judaïsme ou bien c’est votre abandon du judaïsme qui vous laisse avec des réclamations ? » Le rav voulait leur montrer qu’ils n’avaient pas renoncé au respect de la Thora à cause de questions philosophiques profondes, mais qu’ils utilisaient ces questions pour valider leur attitude inacceptable.[5]
Ce phénomène est courant de nos jours.
Le machguia’h d’une yéchiva vint un jour discuter avec le rav David Orlofsky chlita d’un jeune homme qui disait avoir des doutes, des problèmes de Émouna, et qui, par conséquent, commença à se comporter douteusement. Le machguia’h dit au rav Orlofsky qu’il avait longuement parlé avec le garçon de pensée juive, qu’il avait étudié des textes philosophiques profonds comme ceux du Rambam ou de Rabbi Yéhouda HaLévy[6]. Mais rien n’y fit et le jeune homme continuait à s’écarter du chemin de la Thora.
Rav Orlofsky expliqua que le garçon n’avait à l’évidence pas de réels problèmes de Émouna, mais qu’il préférait simplement aller en ville et s’amuser plutôt que d’étudier au Beit HaMidrach ! Le ba’hour fit la sourde oreille à tous ces arguments philosophiques, parce qu’ils ne lui parlaient pas. Il fallait plutôt lui parler directement des éléments qui provoquèrent son éloignement du judaïsme.
Comment peut-on savoir quand une personne dit une chose, mais ne pense pas ce qu’elle dit ? L’incident des mit’onénim peut nous aider à répondre à cette interrogation. Après la plainte du peuple, au sujet du pénible voyage, la Thora dit qu’Hachem entendit (vayichma) et se mit en colère. Que nous apprend cette précision, il est évident qu’Hachem a entendu ? Le verbe « lichmoa » ne signifie pas simplement entendre, mais peut aussi vouloir dire « comprendre »[7]. La Thora nous dit donc qu’Hachem comprit les véritables motivations des Bné Israël – ils n’avaient pas de vraie plainte, mais voulaient s’écarter de Lui. Il réagit en conséquence.
Bien entendu, nous ne pouvons connaître les pensées d’un individu. Mais nous pouvons tenter d’émuler Hachem en discernant ce à quoi il fait référence quand il dit quelque chose, et comprendre ainsi plus justement ce que cela suppose.
Par exemple, quelqu’un peut demander pourquoi il y a tant de souffrances dans le monde.
Cette question peut provenir de diverses causes ; la personne peut avoir vécu une tragédie et en être perturbée ; elle peut vouloir comprendre vraiment ce point épineux ; ou encore utiliser ce sujet comme une excuse pour attaquer le judaïsme.
La seule façon de savoir quelles sont ses intentions est d’approfondir sa question – c’est ainsi que l’on peut aborder le problème.
Aussi, un enfant peut répéter qu’il n’aime pas l’école. Le parent peut prendre cette plainte au pied de la lettre et tenter de lui faire apprécier l’étude. Mais il peut, s’il va plus loin, découvrir que l’enfant n’a en fait aucune difficulté scolaire ; il est peut-être simplement dérangé par un camarade qui l’importune et n’aime donc pas aller à l’école. Ayant compris cela, le parent peut résoudre le problème de manière bien plus efficace.
Les enseignements de l’épisode des mit’onénim sont aussi pertinents de nos jours qu’ils le furent à l’époque.
Puissions-nous tous mériter d’émuler Hachem et d’apprendre à comprendre la réelle signification des propos émis par notre entourage.


[1] Béaalotekha, Bamidbar, 11:1.
[2] Sifri, Béaalotekha, Bamidbar, 11:1.
[3] Voir Ayeleth HaCha’har de rav Aaron Leib Steinman chlita, Béaalotekha, 11:1, qui pose cette question.
[4] Beréchit, 4:8.
[5] Cela ne signifie pas que tout Juif pratiquant n’a pas le droit d’avoir de question de Emouna – quand ces dernières proviennent d’un réel désir de connaître la vérité, elles doivent être posées. Mais dans certains cas, ce ne sont que des excuses pour renoncer au respect de la Thora.
[6] Auteur du célèbre Kouzari, dans lequel sont développés les principes de base de la pensée juive.
[7] Par exemple, au début de parachat Yitro, la Thora nous dit qu’Yitro « entendit », et dans le Chéma, nous disons « Chéma Israël » – dans les deux cas, le mot implique un niveau de compréhension qui dépasse une simple écoute.

Rav Yehonathan GEFEN


Source Torah Box