mercredi 31 août 2016

Laurent Sagalovitsch, l’interview Jewpop



Le nouveau roman de Laurent Sagalovitsch est l’un des coups de cœur Jewpop de la rentrée littéraire. Vera Kaplan, publié chez Buchet-Chastel, marquera ses lecteurs. Un livre choc, librement inspiré de l’histoire de Stella Goldschlag, juive allemande qui, pour sauver ses parents de la déportation, collabora avec la Gestapo en participant à la traque des rares juifs qui se cachaient encore dans Berlin pendant la guerre...




Après 20 années passées chez Actes Sud et une trilogie qui l’a imposé comme un Philip Roth francophone, Laurent Sagalovitsch surprend avec ce livre fascinant et dérangeant, si éloigné de son univers habituel, d’une ironie mordante. L’auteur de Vera Kaplan aborde ici avec distance, dans un style d’une absolue sobriété, le thème de la survie dans un contexte extrême. Ce récit habilement construit, où prédomine la forme du journal intime entre des allers-retours contemporains, laisse le lecteur éprouvé . Qui vivra Vera...


Jewpop a soumis Laurent Sagalovitsch à la question. Celui qui est sans doute le seul écrivain de cette rentrée littéraire à oser faire son auto-promo sur son hilarant blog « You Will Never Hate Alone», a complètement répondu à nos attentes.

Jewpop : Laurent, on t’avait laissé en 2013 avec « Un juif en cavale », dernier volet de la trilogie mettant en scène ton héros/double Simon à Tel-Aviv, décrite ici comme un sous-Sarcelles… Dans Vera Kaplan, tu reviens avec une histoire de juifs allemands qui dénoncent leurs coreligionnaires aux nazis. En fait, ton truc, c’est d’énerver les lecteurs juifs ?
Laurent Sagalovitsch : Oui tout à fait, mais seulement les Séfarades. J’ai toujours eu honte d’avoir une mère tunisienne. Une fille Moatti. Moi qui suis censé être le plus grand intellectuel de ma génération, me coltiner une pareille ascendance, c’est juste l’enfer !
La simple idée que la moitié de ma famille soit de simples bouffeurs de couscous-boulettes et de sandwichs au thon m’a toujours révulsé, et j’ai donc décidé de me venger. À ma manière.
En écrivant des livres compliqués qui demandent pour les comprendre des capacités intellectuelles qu’un Séfarade, métaphysiquement parlant, ne peut pas posséder. J’aime bien les imaginer sur une plage de Deauville ou de Juan-les-Pins en train de se torturer leur cerveau bien huileux pour tâcher de saisir le sens de mes phrases, quand Simone Serfati demande par exemple à Maurice Teboul, « je t’en prie, la Shoah dont parle tout le temps le fils de madame Moatti, tu sais l’écrivain à la mords-moi-le-nœud, c’est quoi au juste ? C’est le nom d’une combinaison au poker ou le dernier modèle de string de chez Zara ?! ».

 

Jewpop : Ton personnage principal, Vera Kaplan, s’inspire librement de Stella Goldschlag, surnommée la « Marylin Monroe berlinoise ». Comment es-tu tombé sur sa tragique histoire ? En dehors de L’Équipe, tu ne lis que des trucs sur la Shoah et l’antisémitisme ? Ou bien tu as mis le mot « SS » en alerte Google ?
Laurent Sagalovitsch : Mais la Shoah c’est fabuleux. Quand tu commences, tu ne peux plus t’arrêter. C’est plus puissant que la coke. C’est niveau Ligue des Champions, finale Milan-Liverpool. Ou Saint-Etienne-Bayern pour les plus anciens. C’est un chef-d’œuvre absolu.
Le sommet de l’épopée humaine. On n’en a jamais fini. Jamais. Impossible de s’ennuyer avec la Shoah. D’ailleurs, elle plonge si loin dans la psyché humaine que tu t’aperçois très vite que tu ne pourras jamais vraiment la comprendre. Elle se situe au-delà de l’intelligence humaine et là, je parle aussi pour les Ashkénazes.
Nous sommes tous, juifs ou pas d’ailleurs, des enfants de cette période même si nous le savons pas. C’est peut-être le deuxième grand moment de l’histoire humaine, le premier étant le moment où Moïse reçoit de l’Éternel les Tables de la Loi, ce qui façonnera la conscience de l’homme moderne, et la Shoah où l’homme finalement redonne ces Tables à l’Éternel ou au Grand Con qui se prend pour lui et s’affranchit dès lors de toute morale.
C’est pour cela que j’ai inventé le point Sagawind qui veut que «Toute discussion qui à un moment ou un autre, ne fait pas référence au nazisme, n’a pas lieu d’être».
Sinon, Stella, je l’ai trouvée dans une encyclopédie de l’Holocauste que j’avais achetée chez un bouquiniste. Une mine d’or. Tu trouves tout sur tout. Bref, quand j’avais un moment à tuer, je me plongeais dedans jusqu’au jour où je suis tombé sur le visage de Stella et sur son histoire.
Et là, paf, je prends une grande claque en pleine tronche, et pif, d’instinct, sans m’expliquer pourquoi, je sais qu’un jour, j’écrirai sur elle. C’était il y a vingt ans, j’ai mis le temps – c’est mon côté séfarade, je suis lent mais lent – mais j’y suis parvenu.

 

Jewpop : On imagine les réactions des éditeurs à qui tu as proposé ton roman… Certains ont eu peur de le publier ? Si oui, tu peux les dénoncer, façon Vera Kaplan ?
Laurent Sagalovitsch : Oui, je peux.

Jewpop : Tu vis à Vancouver, mais sera à Paris prochainement pour présenter ton livre. Tu sais d’avance que certains lecteurs juifs vont te sortir « Vous ne devriez pas donner une si mauvaise image des juifs ! »… Tu leur réponds quoi ?
Laurent Sagalovitsch : Que ce n’est pas mon problème mais le leur. Je ne suis pas le porte-parole de la prétendue communauté et encore moins leur attaché de presse. Je ne travaille pas pour l’ambassade d’Israël.
Je n’appartiens à aucun mouvement, je ne suis toujours pas foutu de faire la différence entre le CRIF, le Consistoire, et toutes les autres congrégations censées nous représenter.
C’est clair ? Je parle en mon nom et c’est suffisamment difficile comme cela. Je n’allais pas me censurer parce que je risquais de montrer un visage peu amène d’une personnalité juive. On a aussi nos traîtres, nos canailles, nos voyous, nos violeurs, nos pédophiles.
Et c’est tant mieux. On ne peut pas sanctuariser un peuple même si de toute évidence, nous ne sommes pas comme les autres peuples. Nous sommes indisciplinés, singuliers, retors, indomptables, fiers de notre différence, chiants, râleurs, arrogants, nous sommes hors-normes, à part, personne ne nous dicte comment agir, nous avons survécu à un nombre insensé de massacres, de génocides, de pogroms et le simple fait que nous soyons toujours là a de quoi rendre mystique le plus obtus des athées.
Mais cette exemplaire singularité ne doit pas nous soustraire à la communauté humaine. Nous ne sommes pas des saints, loin s’en faut, suffit d’écouter un colon blablater pour t’apercevoir que nous ne sommes pas épargnés par la connerie, que nous avons notre lot de pétomanes.
Et pour conclure, parce que tu m’as énervé là, je dirai que je ne suis pas certain que Vera fut un monstre ou puisse donner une mauvaise image des juifs. Elle fut juste une femme qui essaya, dans des circonstances d’une difficulté inouïe, de faire au mieux. C’est tout.

Jewpop : À propos d’image, en voici deux. Imagine que tu es chez le psy et réponds spontanément ! Qu’est-ce qu’elles t’évoquent ?

 

Laurent Sagalovitsch : Sans hésiter, mon oncle et la maîtresse de mon oncle.

Jewpop : Enfin, on sait que tu es fan de Saint-Etienne. Tu es heureux qu’ils aient éliminé le Beitar Jerusalem ?
Laurent Sagalovitsch : Ah oui ! Si jamais ils s’étaient fait éliminer, je me convertissais sur-le-champ. De toutes les façons, les juifs sont nuls en foot et en sport en général.
Question d’environnement familial. Je prends mon exemple : peu de gens le savent mais j’avais tout pour devenir le nouveau Platini. La vista, la technique, l’intelligence, la roublardise. Tout.
Sauf que le jour où j’ai dit à ma mère que je voulais devenir footballeur, elle m’en a collé une, a jeté mes crampons à la poubelle, a prévenu mon entraîneur que je serais malade jusqu’à Kippour 2014. Je n’ai plus jamais revu la couleur d’une pelouse. À quoi cela tient, une vie…

Interview réalisée par Alain Granat

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Source JewPop