mardi 30 août 2016

Roman : " Judas ", tragique trio à Jérusalem

 

Amos Oz fait partie de ces grands écrivains qui peuvent raconter le monde en partant d'un huis clos. En l'occurrence, une maison de Jérusalem, où le jeune héros de « Judas », son dernier livre, joue les hommes de compagnie auprès d'un vieillard, sous la surveillance discrète d'une mystérieuse femme fatale. L'action se passe fin 1959, dans l'Etat balbutiant d'Israël...




A la suite d'une déception amoureuse, l'étudiant désargenté Shmuel Asch a décidé d'abandonner ses études. L'offre de travail placardée sur un mur de l'université (cinq heures de conversation quotidienne avec un homme de soixante-dix ans, un salaire et un logement) répond à son besoin de solitude et de reconstruction.
Au cours de ses conversations avec le vieux Gershom Wald, le garçon va évoquer sa thèse inachevée sur Jésus, vu par la tradition juive. Il va également découvrir le drame de son employeur et de sa bru, Atalia, la belle veuve, fille de l'homme politique pacifiste Yehoiachin Abravanel - considéré comme un traître en raison de ses positions pro-arabes et mort dans l'oubli.

Le triangle sentimental en fusion - Shmuel éprouve une forme d'affection filiale pour Gershom et tombe amoureux d'Atalia - est le point d'ancrage d'une vaste réflexion politico-métaphysique sur les rapports entre judaïsme et chrétienté et sur les fondements tumultueux de l'Etat d'Israël.
A travers la quête universitaire de Shmuel, Amos Oz pose la question des rôles convenus, nourris d'a priori, dévolus à Jésus et à Judas dans les deux religions : et si Jésus n'était pas le Fils de Dieu, mais le meilleur des fils de l'homme ? Et si Judas n'était pas un traître, mais le premier des disciples du Christ, qui aurait précipité sa mort pour prouver sans y parvenir son essence divine ? Quant au personnage idéaliste d'Abravanel, il remet en perspective la lancinante question d'une paix des braves entre Juifs et Arabes.

Personnages attachants

L'écrivain israélien tisse avec brio les fils de la petite et de la grande histoire, dans un style allègre, légèrement distancié. Ses personnages sont singulièrement attachants : Shmuel, antihéros rondouillard, affolé, qui pleure pour un oui ou pour un non ; Gershom Wald, vieux philosophe brisé-désabusé ; Atalia, fascinant mélange de sensualité et de froideur.

Toute la douleur, les doutes et l'humanité d'un peuple s'expriment dans leurs élans et dans leurs mots. Est-ce l'homme qui trahit les hommes ? Est-ce Dieu ? Est-ce la vie ? A soixante-dix-sept ans, l'écrivain israélien continue d'interpeller le ciel et la terre avec l'ardeur d'un jeune homme.
 
Roman israélien : « Judas » d'Amos Oz. Traduit de l'hébreu par Sylvie Cohen, Gallimard, 348 pages, 21 euros.
Source Les Echos