mercredi 5 octobre 2016

L'Iran, suppôt de Bachar al-Assad et allié de Vladimir Poutine...




Le géopolitologue Jean-Sylvestre Mongrenier, estime que "l'alliance avec Damas a permis à l’Iran de renforcer ses liens organiques avec le Hezbollah, de lui livrer des armements et, en cas de conflit ouvert avec Israël, de pouvoir ouvrir un front sur la frontière nord de l’Etat hébreu"....





Les bombardements aériens intensifs menés par Moscou et le régime de Damas sur les quartiers orientaux d’Alep ont déchiré le voile des illusions. Partie prenante au conflit, et donc belligérant, Vladimir Poutine n’est pas un « faiseur de paix ».
 Il a mis la diplomatie au service d’une stratégie « à la tchétchène » qui vise l’anéantissement de la rébellion, Bachar al-Assad jouant un rôle similaire à celui de Kadyrov. Ce sinistre binôme ne doit pourtant pas occulter le soutien apporté par Téhéran, les Pasdarans (les « Gardiens de la Révolution ») ainsi que les milices chiites, forces sans lesquelles une offensive terrestre de longue haleine ne pourra être menée. En alliance avec la Russie, le régime chiite-islamique conduit une stratégie de longue haleine.

La réalité d’un front Moscou-Téhéran

L’engagement renforcé de Téhéran dans les développements de la guerre en Syrie vient invalider la thèse du retournement géopolitique qui était censé suivre l’accord nucléaire du 14 juillet 2015.
En rupture avec l’exercice de « story-telling » destiné à préparer les opinions publiques occidentales, cet accord n’a pas permis d’amorcer un cercle vertueux et d’étendre les effets supposés bénéfiques de ce grand marchandage au théâtre syrien, à l’Irak ou au Moyen-Orient dans son ensemble.
A l’évidence, Téhéran n’a pas exercé sur Bachar al-Assad les pressions attendues en vue de contribuer à la transition politique syrienne et au règlement du conflit.
Bien au contraire, les dirigeants iraniens ont planifié, avec la Russie, une intervention militaire au profit du régime de Damas, participant ainsi de manière décisive à la survie d’un pouvoir meurtrier et à la perpétuation des fléaux qui s’abattent sur la Syrie, avec des répercussions dans l’environnement régional.
Il faut ici insister sur la réalité de ce front commun russo-iranien, véritable alliance politico-militaire, que les spécialistes de l’un ou l’autre pays ont longtemps écartée de leurs analyses.
Avant même que les négociations sur le nucléaire soient achevées, la Russie annonçait la prochaine livraison de systèmes anti-aériens S-300 à l’Iran et des délégations des deux pays se concertaient sur la Syrie. L’accord à peine signé, le 14 juillet 2015, le major-général de la force Al-Qods (l’outil d’intervention à l’extérieur des Pasdarans) se rendait à Moscou afin de nouer une étroite alliance aux Proche et Moyen-Orient.
Une fois mise en place une cellule de coordination entre Moscou, Damas et Téhéran, cette alliance, renforcée sur le terrain par le Hezbollah et des miliciens chiites venus d’Irak et d’Afghanistan (des Hazaras), a pris l’allure d’un front russo-chiite qui exaspère les clivages religieux du Moyen-Orient et polarise plus encore cette « zone des tempêtes ».

La stratégie irano-chiite de domination du Moyen-Orient

Une fois dissipés les discours de propagande accompagnant l’intervention de la Russie et de l’Iran, force est de constater que l’objectif n’était pas de combattre l’« Etat islamique », implanté dans l’est de la Syrie, mais de préserver leurs intérêts géopolitiques respectifs locaux, garantis par le régime de Damas. Le pouvoir russe entend conserver ses points d’appui stratégiques dans la « Syrie utile » (le réduit alaouite et le littoral syrien, l’axe Alep-Damas), porte d’entrée au Moyen-Orient et point d’ancrage en Méditerranée orientale.
Pour l’Iran, le régime de Damas constitue un précieux allié dans le monde arabe. Mise en place en 1980, à l’époque de la guerre entre l’Iran et l’Irak, l’alliance des deux régimes a été maintenue et renforcée. En 2006, un accord de défense mutuelle est signé, complété l’année suivante par un protocole secret additionnel. Sans le soutien financier et militaire de Téhéran depuis le début de l’insurrection, en mars 2012, Bachar al-Assad n’aurait pu se maintenir au pouvoir.
Cette alliance avec Damas a permis à l’Iran de renforcer ses liens organiques avec le Hezbollah, de lui livrer des armements et, en cas de conflit ouvert avec Israël, de pouvoir ouvrir un front sur la frontière nord de l’Etat hébreu.
C’est ainsi que le territoire syrien, au cours des années 2000, est devenu le pivot de l’« arc chiite », une expression qui met l’accent sur la dimension sectaire et confessionnelle de la collusion entre le régime chiite-islamique de Téhéran, les clans alaouites au pouvoir à Damas, le Hezbollah et les partis chiites irakiens. Poursuivie avec opiniâtreté depuis la révolution khomeyniste de 1979, la longue stratégie de déstabilisation du régime chiite-islamique s’inscrit dans un projet de domination régionale, du golfe Arabo-Persique à la Méditerranée orientale.
La guerre en Syrie a déclenché le passage à la phase militaire du pan-chiisme et la volonté de puissance de Téhéran, qui se vante de contrôler plusieurs capitales arabes, nourrit en retour les jeux pervers de diverses forces dans le monde sunnite, sur fond d’« Islam en crise » (voir sur ce point les analyses de Bernard Lewis).

La question nucléaire et balistique n’est pas close

Aussi les perspectives géopolitiques du Moyen-Orient sont-elles des plus sombres. D’une part, l’offensive terrestre à laquelle participeraient les diverses forces irano-chiites, préparée par les bombardements russo-syriens, même si elle faisait tomber ces quartiers rebelles, ne mettrait pas fin à une rébellion qui s’enracine dans la population arabe-sunnite (les deux tiers de la population totale).
On doit plutôt craindre le renforcement des groupes djihadistes et l’« afghanisation » du conflit remettrait en cause l’idée de partition du territoire qui habite les généraux russes, soucieux d’éviter l’enlisement.
D’autre part, l’ampleur des ambitions iraniennes dans la région et le caractère millénariste du projet politico-idéologique de Téhéran excluent la renonciation définitive à l’arme nucléaire, condition sine qua non pour assurer la « sanctuarisation agressive » de l’Iran. A l’abri de leur bouclier nucléaire, les dirigeants iraniens pourraient faire monter en puissance leur stratégie moyen-orientale.
Il importe de rappeler que l’accord du 14 juillet 2015 reconnaît le prétendu « droit à l’enrichissement » revendiqué par Téhéran, le régime conservant l’essentiel de son infrastructure nucléaire. Tout au plus, l’Occident a-t-il gagné du temps, les échéances étant reportées à dix ou quinze ans, ce qui est peu. En fait, la crise a rebondi dans le domaine des armes balistiques, Téhéran exploitant le délai consenti pour développer des capacités de frappe sur de moyennes et longues distances.
Malgré la résolution du Conseil de sécurité des Nations unies qui interdit ce programme, les Pasdarans, soutenus par le Guide de la Révolution, Ali Khamenei, et son premier ministre, le « débonnaire » Hassan Rohani, ont procédé à plusieurs essais balistiques.
Le rayon d’action de ces armes va au-delà des 2.500 kilomètres, ce qui inclut le territoire de l’Etat hébreu et celui de tous les alliés de l’Occident dans la région, ainsi que la partie sud-orientale du continent européen.

Pour conclure

Face au « grand perturbateur » iranien et d’autres puissances révisionnistes, la « patience stratégique » vantée par Barack Obama dissimule mal une certaine irrésolution, même si la marge de manœuvre est limitée, ce qui n’a guère aidé John Kerry dans sa mission diplomatique.
Alors que la tentation du retrait saisit les opinions occidentales, une vérité doit être rappelée: l’isolationnisme n’est ni une option stratégique, ni une solution géopolitique, surtout pas au Moyen-Orient, ce « nœud gordien » mondial. Enfin, cessons de décrire les chefs de l’Iran comme des politiciens rationnels, en quête d’avantages matériels, et de croire que le conflit en cours serait soluble dans des marchandages d’intérêts.
Au plan historique et dans sa substance même, le régime est fondé sur l’opposition à l’Occident. La rationalité dont les dirigeants iraniens font preuve ne relève pas de la Raison des Lumières, mais de la rationalité instrumentale, c’est-à-dire de la capacité à ordonner les moyens aux fins.
Ces hommes ont leur propre échelle de référence, sont déterminés à poursuivre leurs objectifs de puissance et ils éprouvent le sentiment que le temps, inexorablement, joue pour eux.
Plutôt que de s’extasier devant l’ancienneté de la civilisation perse et de vanter ses beautés touristiques, non sans arrière-pensées sur la profitabilité du marché iranien, il est urgent de comprendre les ressorts profonds du régime et ses responsabilités dans le drame humain et géopolitique de la Syrie.


Par Jean-Sylvestre Mongrenier, Chercheur à l’Institut Français de Géopolitique et à l’Institut Thomas More et coauteur de Géopolitique de la Russie (PUF, 2016).


Source Challenge